Les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), qui feront manifestement bientôt l'objet d'une commission parlementaire, font de plus en plus office de mouroir: 42% de leurs résidants ont aujourd'hui plus de 85 ans. Si on y arrive aussi tardivement, de quelle façon vit-on avant?

Selon Michèle Charpentier, professeure au département de travail social de l'Université du Québec à Montréal, les personnes âgées sont nombreuses à être laissées à elles-mêmes.

Les soins à domicile dispensés par les CLSC? Rares et insuffisants, selon elle. «Après une opération, on passera peut-être vous faire vos pansements, mais ça ne va pas beaucoup au-delà de cela. Et encore faut-il préparer les repas, sortir les poubelles. Quand tu es très âgé, seul et de moins en moins en contact avec la réalité, ce n'est pas possible.»

Et oubliez le répit pour les proches aidants - souvent eux-mêmes très âgés. «Les répits, ça n'existe à peu près pas», signale Mme Charpentier.

C'est bien le portrait que brosse aussi le Regroupement provincial des comités d'usagers. Dans un rapport publié en décembre 2012, le Regroupement dénonce «les politiques sociales et les discours gouvernementaux se voulant rassurants» et cette «idéalisation trompeuse de la vie à domicile».

Quand les proches ne suffisent pas à la tâche, vient un temps où «il n'est plus possible d'assurer les soins, la sécurité et la qualité de vie des gens», peut-on lire.

Alors survient la chute et, souvent, la fracture de la hanche. «Tout se passe dans l'urgence. Dans ce système, il n'y a aucune place pour la prévention», déplore un fonctionnaire qui travaille dans le réseau (1).

Pas assez malade

C'est ce qui est arrivé à Rita. Âgée de 93 ans, atteinte d'un cancer très avancé et aveugle, elle était déjà incapable depuis plusieurs mois de préparer ses repas.

Il y avait bien un travailleur social au dossier, raconte sa fille. «Il était gentil et d'une franchise désarmante. Il m'a dit: «Si votre mère fait une chute et se fracture la hanche, là, elle aura une place en CHSLD, mais pour l'instant, elle n'est pas encore assez malade»».

Rita a fait plusieurs chutes, dont une qui l'a laissée au plancher pendant plusieurs heures.

Après plusieurs voyages en ambulance, elle a fini par être admise à l'hôpital. Elle y est restée trois mois, avant d'être transférée dans un CHSLD dit «de transition», où son état devait être évalué avant qu'elle ne soit déménagée dans un autre CHSLD.

Rita a fini par tomber sur un médecin qui a mis le holà à tout cela. Non, Rita ne bougerait plus de là; non, elle n'allait pas subir son quatrième déménagement de l'année. À quoi bon, puisqu'elle allait mourir dans quelques semaines, au mieux quelques mois?

Sa fille n'a que de bons mots pour le CHSLD où sa mère a fini ses jours. Mais qu'en est-il de toutes ces personnes âgées qui ne s'y rendent pas? «J'habite à six heures d'avion de Montréal, et à distance, quand ma mère était encore dans son studio, je faisais de mon mieux, j'envoyais des gens la voir, j'appelais ses voisines, les médecins, le pharmacien, je l'appelais pour lui rappeler de prendre ses pilules. Que font tous ces gens qui n'ont pas d'enfants, qui sont seuls dans ces grandes tours d'habitation?»

«Un cas plutôt typique»

Rita, un cas exceptionnel? «Un cas plutôt typique», laisse tomber Louis Plamondon, président de l'Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées.

Dans les résidences pour personnes autonomes, mais aussi dans des maisons et dans des HLM, signale M. Plamondon, il y a quantité de personnes âgées abandonnées à leur sort.

Comment cela se passe-t-il en résidence privée? François Villeneuve, qui vient d'obtenir un permis pour transformer certains lits de son centre d'hébergement de Sainte-Thérèse en «lits CHSLD», raconte. «Moi, je ne l'ai jamais fait, mais on sait très bien, dans le milieu, que quand une personne âgée n'est plus en mesure d'habiter dans sa résidence et qu'il n'y a pas d'autre solution, le propriétaire l'envoie tout simplement à l'hôpital.»

Lydia Ingenito, directrice des programmes-services à l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, affirme pour sa part que quand il y a urgence, les personnes âgées sont prises en charge.

Si les personnes arrivent en CHSLD de plus en plus tard, Mme Ingenito assure qu'«on n'a pas besoin d'être à l'article de la mort pour être hébergés [en CHSLD]». Elle ajoute que «quand on est sur une liste d'attente, on est à domicile, avec des soins à domicile».

(1) L'anonymat ayant été demandé, nous avons omis certains noms aux fins de ce reportage.