Un centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) avec des chambres accueillant cinq personnes, et une salle de bains qu'on se partage à dix. D'autres avec des chambres si petites que le lit occupe la moitié de l'espace. D'autres encore où il fait chaud à mourir. À côté de cela, des CHSLD quatre étoiles, climatisés, avec de grandes chambres individuelles. Petite incursion dans un réseau public à prestation très inégale.

Annette Levasseur s'est fait dire de ne pas s'inquiéter de cette toute petite chambre dans laquelle son mari a été installé à son arrivée au CHSLD Drapeau-Deschambault, à Sainte-Thérèse. «On m'a promis qu'il ne resterait pas là longtemps, qu'il y aurait bientôt une autre chambre qui se libérerait, parce que l'été, il fait tellement chaud dans ce CHSLD que les personnes âgées sont nombreuses à mourir, déshydratées.»

De fait, même en ce début du mois de mai, même si on est encore loin de la canicule, il fait chaud, très chaud, au CHSLD Drapeau-Deschambault.

Chaque mois, Mme Levasseur paie 1742$ pour la chambre de son mari. La salle de bains est dans le couloir. Son mari qui, malgré sa démence, est normalement encore capable d'aller aux toilettes, ne peut s'y rendre parce que la porte de sa chambre est verrouillée la nuit. Comme il ne supporte pas la couche, il urine par terre.

«Quand je lui rends visite et que je vois de l'urine séchée par terre, je demande à ce qu'on nettoie. On me répond: «On l'a fait une fois, ce matin, et ce n'est pas dans nos normes de nettoyer le plancher plus d'une fois par jour». J'insiste, je me bats, mais c'est épuisant, tout cela. Quand des amis nous rendent visite au CHSLD, je suis gênée.»

Le CHSLD Drapeau-Deschambault, où est hébergé le mari de Mme Levasseur, n'est pas un cas unique, loin de là. Un fonctionnaire (1) qui travaille dans le réseau nous a suggéré la visite de quelques «chenils», comme il les appelle.

Au CHSLD Notre-Dame-de-Lourdes, boulevard Pie-IX, à Montréal, ils sont cinq à s'entasser dans des chambres communes. «Ils sont vieux, souvent incontinents, et ils doivent parfois faire la file pour aller à la toilette», raconte le fonctionnaire.

Au CHSLD Marie-Victorin, il y a beaucoup de chambres individuelles, mais elles sont minuscules. D'anciennes chambres d'étudiants de cégep. Le lit occupe la moitié de la pièce.

Une grande disparité

Est-ce partout comme cela? Non. On trouve d'autres CHSLD ultramodernes, avec chambres individuelles climatisées, solariums ou grands terrains gazonnés. Des endroits comme le CHSLD Saint-Georges, à Montréal, ou le CHSLD Bayview de Pointe-Claire, par exemple.

Tout en reconnaissant la grande disparité entre les divers établissements, Marie-Josée Thibert, agente en communication à l'Agence de santé et de services sociaux de Montréal, signale par ailleurs que nos pas nous ont menés au seul CHSLD de Montréal qui compte des chambres de cinq occupants.

Autrement, dit-elle, «on compte 400 places où l'on est trois ou quatre dans la chambre». Les autres chambres sont privées ou à deux lits.

Nicole Blouin, agente de communication pour le Centre de santé et de services sociaux Thérèse-de-Blainville, assure qu'on est bien conscient du problème de la chaleur dans certaines ailes du CHSLD Drapeau-Deschambault - problème caractéristique de tous ces CHSLD vétustes, non climatisés. «On suit les directives de santé publique et on mesure régulièrement l'humidex. On distribue de la limonade et beaucoup de liquide aux résidants.»

Encore faut-il que les employés aient le temps de bien hydrater chacun des résidants. Or, Annette Levasseur, dont le mari est hébergé là, relève que le personnel est déjà débordé et à bout de souffle.

«Vous savez, ce n'est pas le CHSLD Drapeau-Deschambault que je blâme, je le vois bien qu'on y manque de personnel. C'est le gouvernement que je blâme pour toutes ces coupes.»

Une préposée aux bénéficiaires qui travaille dans un autre CHSLD, à Montréal celui-là, relève que dans son milieu aussi les coupes ont un effet important sur la qualité des soins offerts.

«À certaines heures critiques de la journée, à l'heure des repas notamment, c'est l'usine, le travail à la chaîne. C'est ton devoir de t'assurer que les médicaments ont été bien pris, mais avec les coupes de personnel, on est tous débordés et je vois bien que certains médicaments restent dans la compote de pommes...»

Ça se résume à cela, dit-elle. «Plus la famille est présente, meilleur est le service. Autrement...»

-Avec Martin Chamberland

(1) Le nom des employés du réseau a été omis afin de préserver leur anonymat.

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4000 Québécois dans l'attente



Près de 4000 personnes attendent une place dans un CHSLD au Québec, dont la moitié dans la grande région de Montréal. Parmi tous ces gens, nombreux sont ceux qui, avant d'obtenir leur place définitive, risquent fort d'être transformés en «voyageurs du système».

L'expression vient du Regroupement provincial des comités d'usagers, qui évoque dans un rapport produit en décembre dernier le parcours du combattant de la personne âgée en quête d'un CHSLD.

«L'aîné passera d'un hébergement temporaire à un hébergement transitoire ou à un essai, avant d'arriver enfin à son hébergement permanent, peut-on lire. Loin d'être l'exception, ces déménagements successifs sont devenus la norme étatisée.»

Avant d'avoir une chambre en CHSLD, le père d'Olivier Maurice, qui souffrait de la maladie de Parkinson, a dû patienter dans une «ressource intermédiaire». «Le problème, dit M. Maurice, c'est que mon père avait une sonde, ce qui nécessite une hygiène irréprochable. Les employés de la ressource intermédiaire n'avaient pas le temps de la nettoyer, avec pour résultat que mon père a fait deux septicémies.»

Son père a survécu et a enfin obtenu une place en CHSLD, «où il a finalement eu de très bons soins», dit M. Maurice.

De la théorie à la réalité

Légalement, relève l'avocat Jean-Pierre Ménard, une personne âgée a le droit de choisir le CHSLD où elle ira habiter.

Ça, c'est la théorie. La réalité est tout autre, selon le rapport du Regroupement provincial des comités d'usagers. «La personne dispose généralement de 24 à 48 heures pour emménager dans le milieu après avoir été informée qu'une chambre était disponible. Soyons clairs: il est inhumain de demander à quiconque, et particulièrement à des aînés malades, vulnérables et ayant une capacité réduite au plan physique et/ou cognitif, de faire appel à de telles stratégies d'adaptation», peut-on y lire.

L'avocat Jean-Pierre Ménard, qui dénonce cette façon de faire, estime lui aussi inacceptable que l'on amène les proches à «prendre une décision le couteau sur la gorge».