Une poignée de médecins de famille de l'Hôpital général juif de Montréal pensent avoir trouvé la solution pour désengorger les urgences. Elle semble tellement prometteuse qu'ils ont commencé à la partager avec d'autres établissements aux prises avec des délais d'attente monstres, notamment l'hôpital Maisonneuve-Rosemont.

«Il s'agit d'un groupe de médecine familiale (GMF) boosté aux stéroïdes», explique le Dr Hartley Stern, directeur général de l'Hôpital général juif. Le dirigeant est convaincu d'être en train de réaliser un tournant dans l'accès aux soins de première ligne au Québec. «Ce n'est pas un rêve, ce n'est pas le futur, ça se passe ici, et maintenant», affirme-t-il.

Au comptoir d'inscription du Centre universitaire sans rendez-vous (CRIU) de l'Hôpital général juif, à deux minutes de marche de l'hôpital, les réceptionnistes remettent un téléavertisseur aux patients pour les prévenir quand viendra leur tour de voir un médecin. On offre à ceux qui ont un téléphone portable de les rappeler pour leur éviter la pénible attente. Tout ça gratuitement.

Ici, dans cette clinique sans luxe, une trentaine d'omnipraticiens assument des tours de garde 365 jours par année, du matin au soir. Les médecins se targuent d'avoir une liste de 2000 patients, sinon plus - comme le souhaite le gouvernement.

Le directeur de la clinique, le Dr Michael Malus, pointe un couloir étroit. Sur une porte, on voit le nom d'un travailleur social et, sur l'autre, celui d'une nutritionniste. Il y a aussi un psychologue et un professionnel de la kinésiologie. «Nous avons réussi à obtenir du financement pour embaucher six professionnels», explique le Dr Malus. Isabel Pereina, responsable de l'administration, ajoute que le personnel ne roule quand même pas sur l'or. «Ces bureaux-là, et la fourniture qu'il y a dessus, c'est du matériel usagé. C'est un don.»

En plus des professionnels, les médecins peuvent compter sur le soutien d'infirmières cliniciennes, ainsi que de deux infirmières praticiennes spécialisées (IPS), qui peuvent accomplir des actes autrefois réservés aux médecins. Le rêve. Toute cette équipe se partage 10 salles d'examen et accueille des résidents en médecine, qui viennent apprendre les façons de faire des vieux routiers du sans rendez-vous. Des programmes de prévention sont aussi offerts aux patients.

L'an dernier, les urgences de l'Hôpital général juif ont accueilli 50 000 patients, pour un séjour moyen de 18 h 42 sur civière. La fameuse clinique sans rendez-vous a reçu 40 000 patients ambulatoires. Ce sont souvent des gens sans médecin de famille ou des patients dont la condition nécessite des soins immédiats, mais pas au point de justifier une visite aux urgences.

Mina Ladores est coordonnatrice des soins à la clinique. Elle raconte que la clinique a pris en charge plusieurs centaines de patients «orphelins», dont quelques centaines de femmes en fin de grossesse. «Plusieurs se présentent à la 37e semaine de grossesse, et c'est leur premier rendez-vous. On estime qu'une femme enceinte sur quatre qui s'est présentée à notre clinique était un cas à haut risque. Quand c'est possible, nous les transférons à l'obstétrique de l'hôpital. Mais on a aussi une entente avec l'hôpital St Mary's, qui a procédé à 220 accouchements jusqu'à maintenant.»

Rétablir la confiance chez les patients

Comme tous les gestionnaires en santé, le Dr Hartley Stern, directeur général de l'Hôpital général juif, gère son budget dans un contexte de restrictions extrêmes. Il estime que la survie du réseau de santé public au Québec passe par le paiement à la performance. Il croit également qu'il faut absolument rétablir la confiance de la population.

«Nous sentons l'inquiétude chez les gens. Actuellement, l'argent ne suit pas le patient, c'est le patient qui doit suivre l'argent, déplore-t-il. On a un système statique, qui n'est pas dynamique. Pour transformer le système, il faut miser sur les urgences, se concentrer sur la qualité des soins et préciser la responsabilité de chacun. En ce moment, chacun dit: "ce n'est pas de ma faute ou ce n'est pas ma responsabilité". Il faut que les trois ordres de gouvernance (gouvernement, agence, hôpital) rament dans le même sens.»

Dans son bureau du premier étage de l'hôpital, le Dr Stern montre à La Presse une partie de ses états financiers. Les dépenses administratives de son établissement ne représentent que 4,53% de toutes les dépenses, comparativement à 6%, 9%, 10%, voire 15% dans certains hôpitaux. «Ça pourrait faire partie des indicateurs de performance pour nous financer, dit-il. Il faut aussi tenir compte d'autres indicateurs, comme le taux de mortalité, les incidents, le volume et le nombre d'interventions en cardiologie.»