En plus de pousser au bord de la crise de nerfs les professionnels de la santé qui donnent des soins à domicile, la méthode Toyota de la firme privée Proaction contreviendrait à plusieurs articles du code de déontologie des infirmières. Pendant que du personnel commence à boycotter la méthode, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) somme la direction de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) de prendre clairement position dans le dossier, a appris La Presse.

Dans une lettre envoyée cette semaine à la nouvelle dirigeante de l'OIIQ et que La Presse a obtenue, la présidente de la FIQ, Régine Laurent, affirme qu'en plus de détériorer le climat de travail, la grille imposée pour minuter tous les actes, allant du nettoyage d'oreilles aux visites à la suite d'un décès, porte atteinte à la qualité des soins et au jugement professionnel de ses membres.

Plus précisément, la FIQ fait référence à trois articles du code de déontologie, dont un portant sur l'obligation des infirmières d'«exercer la profession avec objectivité en faisant abstraction de toute intervention d'un tiers». On souligne aussi qu'en vertu d'un autre article, les infirmières ont une responsabilité civile, et qu'elles peuvent s'exposer à des poursuites en cas de manquement à la profession.

«On n'a aucun problème avec la méthode Lean si elle permet de nous donner des outils, explique le vice-président de la FIQ, Daniel Gilbert. Mais, le problème avec Proaction, c'est qu'on dicte des normes de pratique. On fait totalement abstraction du jugement clinique des infirmières. Et ce qui est odieux, c'est qu'on doit justifier chacun de nos actes à des gens qui n'ont aucune formation en soins infirmiers.»

Boycottage à Québec

Pendant ce temps, dans la région de Québec, des infirmières exaspérées par la méthode Proaction ont décidé de la boycotter. Après de nombreuses rencontres avec le syndicat, la direction du centre de santé et des services sociaux (CSSS) de Québec-Nord s'est engagée à «surseoir temporairement» à l'utilisation de la grille et à des «rencontres de supervision active (RSA)» obligatoires, à raison de 15 minutes chacune, et ce, deux fois semaine.

Selon les informations obtenues par La Presse, le contrat entre la firme Proaction et le CSSS Québec-Nord s'élève à environ 900 000$. La direction du CSSS n'a pas été en mesure d'indiquer, hier, si elle allait demander ∂un remboursement à la firme ou imposer de nouveau la méthode à son personnel en santé.

À la lumière de toutes les critiques formulées dans les dernières semaines, la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, qui s'apprêtait à embaucher une firme privée pour optimiser ses services, a reculé. «Il faut comprendre qu'on n'a pas de problèmes de liste d'attente ici, a dit Geneviève Lambert, porte-parole. Les membres du conseil d'administration vont rencontrer notre coordonnatrice des soins à domicile pour obtenir plus d'information. Ce qui est clair, c'est qu'il n'y aura pas de décision avant décembre.»

Réaction du ministre Hébert

En point de presse, hier en fin d'après-midi, le ministre de la Santé a dit qu'il entend respecter les contrats en cours avec la firme Proaction. Le Dr Réjean Hébert a cependant ajouté qu'il faut que les CSSS reviennent au système d'appel d'offres. «La moitié des contrats qui ont été octroyés à Proaction l'ont été de gré à gré», a-t-il déploré.

L'OIIQ entend pour sa part aborder la question déontologique à la prochaine rencontre du conseil d'administration, en décembre. La nouvelle présidente de l'Ordre, Lucie Tremblay, a dit qu'elle n'est pas prête à prendre position immédiatement.