Avant même sa diffusion, le documentaire Gentilly or not to be fait couler beaucoup d'encre. Le film affirme, sur la foi d'une étude allemande, que les enfants qui vivent près de la centrale nucléaire de Gentilly-2 risquent plus que les autres d'avoir la leucémie.

L'étude en question, appelée KiKK, a été publiée en 2008. Selon cette étude, les risques de leucémie chez l'enfant sont deux fois plus élevés dans un rayon de 5 km autour d'une centrale nucléaire. Mais l'étude n'apporte aucune preuve que ces enfants sont exposés à un excès significatif de radioactivité.

Les auteurs de l'étude ne concluent donc pas que le nombre élevé de cancers est directement attribuable aux centrales. Ils croient que d'autres facteurs peuvent être en cause.

Le film Gentilly or not to be affirme que cette étude a poussé le gouvernement allemand à abandonner la filière nucléaire. La réalité pourrait toutefois être plus complexe. «L'étude KiKK n'a pas joué un grand rôle dans l'abandon du nucléaire en Allemagne», a affirmé Heinz Smital, responsable du nucléaire à Greenpeace Allemagne, lors d'une entrevue téléphonique.

«À mon avis, l'abandon du nucléaire découle davantage d'une poursuite que nous avions intentée contre l'État allemand, dans laquelle nous affirmions que les centrales étaient susceptibles d'être la cible d'attaques terroristes, a ajouté M. Smital. La Cour suprême nous a donné raison.»

Il n'empêche que d'autres pays ont voulu reproduire l'étude KiKK, avec des résultats mitigés.

De l'autre côté du Rhin, l'épidémiologiste français Dominique Laurier, qui travaille à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) de la France, a lui aussi réalisé une étude sur le taux de leucémie près des centrales nucléaires.

«Nous avons aussi trouvé une augmentation des cas de leucémie, dit le Dr Laurier, joint à Helsinki, où il assiste à un congrès. Mais quand nous avons tenu compte de l'exposition réelle, et non de la simple distance avec les cheminées de la centrale, l'effet a disparu.»

Tous les chercheurs prennent les mêmes précautions dans ces études: la proximité géographique d'une centrale n'est pas la preuve d'une relation de cause à effet pouvant expliquer une hausse du taux de cancer. Il peut y avoir des facteurs confondants, non identifiés par les chercheurs.

«Selon moi, il est clair que KiKK et les études qui ont trouvé des effets sur la leucémie n'ont pas assez tenu compte des facteurs confondants, confirme le Dr Laurier. Il peut y avoir des foyers anormaux de leucémie pour une foule de raisons, et pas nécessairement des raisons environnementales.»

Nouvelle étude aux États-Unis

Lancée elle aussi dans la foulée de KiKK, l'étude COMARE, en Angleterre, n'a pas observé d'augmentation statistiquement significative du taux de leucémie près de centrales nucléaires.

Une étude américaine publiée en 2007 avait détecté une incidence de cancer accrue de près du quart chez les gens vivant à moins de 16 km des centrales nucléaires, mais elle a aussi conclu qu'il ne pouvait y avoir de lien de cause à effet prouvé.

Cette circonspection des chercheurs a été critiquée. Joseph Mangano, fondateur de l'ONG antinucléaire new-yorkais Radiation and Public Health Project, a notamment réanalysé les données de l'étude américaine afin de démontrer que l'augmentation de l'incidence de la leucémie depuis 40 ans aux États-Unis est liée aux centrales nucléaires.

Le débat n'est pas tranché aux États-Unis, où un million de personnes vivent à 5 milles (8 km) ou moins d'une centrale nucléaire. Cet été, dans la foulée des résultats européens, la Commission de réglementation nucléaire américaine a ordonné une nouvelle étude sur le même sujet.