Imperial Tobacco a déjà embauché une firme d'experts pour demander à des adolescents de 16 et 17 ans ce qui les avait incités à fumer, souvent dès l'âge de 11 ou 12 ans, selon un rapport interne de la société qui a été déposé hier à la Cour supérieure.

Imperial, JTI-Macdonald et Rothmans/Benson&Hedges soutiennent depuis le début de leur procès au palais de justice de Montréal que leurs efforts de marketing ont toujours visé les adultes. Les requérants des recours collectifs affirment que les firmes ont plutôt visé les jeunes, car elles savaient que la majorité des gens commencent à fumer avant 18 ans.

Leurs avocats ont déposé un document intitulé Project 16, résultat d'enquêtes menées en 1977 auprès de garçons et de filles de 16 ans et 17 ans à Toronto et à Peterborough, en Ontario. Le document de 97 pages a été réalisé par une firme de recherche en marketing, à la demande d'Imperial Tobacco.

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«Ce que ressent un fumeur débutant aujourd'hui a des implications pour l'avenir de l'industrie, si bien que cette enquête a un grand intérêt, note le rapport. Le Projet 16 a été conçu exactement pour cela: apprendre tout ce qu'il y a à apprendre sur comment on commence à fumer, comment les élèves du secondaire se sentent en tant que fumeurs, et comment ils prévoient leur usage du tabac dans l'avenir.»

Quatre groupes de garçons et de filles qui fumaient au moins cinq cigarettes par jour ont été formés. Les discussions, animées par les enquêteurs, étaient retransmises en circuit fermé, au profit d'observateurs d'Imperial Tobacco et d'une agence de publicité.

Les jeunes racontaient comment ils avaient commencé à fumer. Ils donnaient leur opinion sur des réclames publicitaires jouant sur la jeunesse et la liberté: un joueur de guitare pour les cigarettes Export 'A' (fabriquées par JTI-Macdonald), de jeunes gens à cheval ou en canot pour Player's, un couple dans une auto sport pour Du Maurier, etc.

Le rapport décrit en long et en large le processus psychologique qui pousse des jeunes de 11 à 13 ans à commencer à fumer. La plupart d'entre eux le font sous la pression de leurs camarades qui fument déjà: ils veulent prouver qu'ils ne sont plus des enfants. «Il n'y a aucun doute que l'influence des camarades est le facteur qui contribue le plus à la décision d'un adolescent de fumer», indiquent les auteurs.

«Les adolescents cherchent à exprimer leur besoin d'indépendance avec un symbole; les cigarettes constituent justement un symbole, car elles sont associées à l'âge adulte et, en même temps, les adultes cherchent à en éloigner les jeunes. En se moquant de ces exhortations, l'adolescent proclame sa rupture avec l'enfance, du moins auprès de ses camarades.»

Apprendre à fumer

«Les efforts sérieux pour apprendre à fumer se produisent la plupart du temps entre 12 et 13 ans. Les expériences ludiques, surtout par les enfants dont les parents fument, peuvent se produire aussi jeune qu'à 5 ans, mais la plupart du temps à 7 ou 8 ans.

«Mais s'il était amusant de fumer à 11, 12 ou 13 ans, plusieurs jeunes de 16 ou de 17 ans regrettent d'en avoir pris l'habitude: ils sont préoccupés par leur santé et se sentent incapables d'arrêter de fumer quand ils le souhaitent... Plusieurs disent qu'ils veulent arrêter, mais il est improbable qu'ils passent à l'action.»

Le rapport souligne que les jeunes fumeurs adoptent généralement une marque pour la vie. Il était donc important pour Imperial d'évaluer le pouvoir de persuasion de sa publicité. La réclame de Player's montrant de jeunes gens à cheval a remporté la palme.

Une image de liberté

«Celle-ci a été perçue [dans les groupes de discussion] comme la plus orientée vers les jeunes... Elle dégage une image d'honnêteté et de liberté et se signale par l'absence de quiconque pouvant les harceler. De surcroît, chevaucher un cheval, c'est quelque chose que les jeunes font, pas leurs parents.»

Des années plus tard, les sociétés de tabac ont tout fait pour empêcher le gouvernement canadien d'interdire la publicité, mais sans succès. D'autres documents sur les jeunes et le tabac doivent être déposés et débattus aujourd'hui au procès.