Cette semaine, Nathalie Collard rencontre le Dr Frédéric Desjardins, président de l'Association des radiologistes du Québec. Chaque semaine, notre journaliste rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec l'actualité. La 11e question vient du public.

1 Comment un radiologiste lit-il une mammographie?

Il s'agit de la même technologie qu'un rayon X. Le technologue prend la photo et le radiologiste l'analyse. Il doit détecter les signes les plus précoces du cancer.

2 Que s'est-il passé dans le cas du Dr Raymond Bergeron? Comment peut-on se tromper en analysant une mammographie?

En imagerie médicale, il y a deux types d'erreurs possibles: une erreur de perception, c'est-à-dire qu'il y a une anomalie sur le film, mais qu'on ne la voit pas. En conférence de presse, cette semaine, le Dr Yves Robert a dit que c'était comme essayer de voir un flocon de neige dans la tempête. Un cancer, c'est blanc, et un sein avec beaucoup de glandes, c'est blanc aussi. On cherche donc du blanc dans du blanc. En outre, on cherche des cancers de très petite taille, de 6 à 8 mm. L'autre type d'erreur concerne l'interprétation: on voit qu'il y a une anomalie dans l'image, mais on l'interprète mal. Le Dr Gagnon a commis les deux types d'erreur.

3 Comment a-t-on appris que le Dr Raymond Bergeron avait pu commettre plusieurs erreurs de diagnostic?

Dans le cadre du programme de dépistage du cancer du sein, un comité fait un suivi annuel des statistiques des cliniques. Pour toutes sortes de raisons, les cliniques concernées avaient intégré le programme depuis un an ou deux, donc il y avait moins de statistiques à leur sujet. On a tout de même observé que les statistiques s'éloignaient des cibles (on parle d'un taux de détection de 5 cancers pour 1000 mammographies). Au même moment, le syndic du Collège des médecins a commencé à recevoir des plaintes. Ces plaintes sont confidentielles, mais comme le Collège fait partie du comité du programme de détection, des drapeaux jaunes se sont levés. Le Collège a donc décidé de convier le Dr Bergeron à un test qu'on fait passer aux médecins qui ont plus de 35 ans de pratique, et il a échoué. C'est à ce moment que l'enquête a été ouverte.

4 Est-ce à ce moment que le Dr Bergeron a décidé de prendre sa retraite?

Oui. Le Collège l'a suspendu dans sa pratique en mammographie, mais il aurait pu continuer à pratiquer les autres volets de la radiologie. Il a pris sa retraite un mois ou deux plus tard.

5 Le Collège des médecins affirme qu'il n'a pas vraiment de recours contre le Dr Bergeron. N'aurait-il pas au moins pu présenter des excuses?

À propos d'un éventuel recours, c'est une question de juridiction. Tout ce que le Collège peut faire contre un médecin, c'est limiter sa pratique médicale, le suspendre temporairement ou le radier. À partir du moment où il prend sa retraite, il n'est plus inscrit au Collège, qui estime que l'affaire est réglée: le public est protégé puisque l'individu ne pratique plus. Techniquement, le Collège aurait pu traduire le Dr Bergeron en comité de discipline et le suspendre ou le radier symboliquement, mais cela aurait été une perte d'énergie. Par contre, les femmes ont toujours la possibilité d'un recours civil, car le fait d'être à la retraite ne soustrait pas le médecin aux conséquences des actes qui ont été faits durant sa pratique.

6 Comment le Québec se compare-t-il au reste du pays en matière de dépistage du cancer du sein?

Il y a un programme de dépistage dans chaque province ainsi qu'aux États-Unis et en Europe de l'Ouest. On utilise différentes statistiques pour les évaluer, mais la plus importante est celle dont j'ai parlé plus tôt, le taux de détection de cancer pour 1000 mammographies. Les résultats au Québec sont plus élevés que les cibles fixées par le programme à sa création, on bat plusieurs provinces et pays, et on se compare favorablement à d'autres. Dans son ensemble, le programme est excellent.

7 En raison de ce qui est arrivé, craignez-vous que les femmes perdent confiance dans le programme de dépistage?

Notre plus grande crainte, c'est effectivement un retour de balancier. Ces cancers non détectés sont très malheureux, mais il y en aurait encore davantage si le taux de participation à la mammographie diminuait, et ce serait encore plus malheureux.

8 Que peut-on faire pour que ce type d'erreur ne se reproduise pas?

Il n'y a pas de solution unique, mais on a établi deux choses: toutes les cliniques qui font des mammographies doivent participer au programme de dépistage afin que leurs statistiques soient centralisées et qu'on puisse faire un suivi. On travaille là-dessus depuis deux ans et on atteint un taux de participation de 90%. Ensuite, il faut briser l'isolement professionnel des médecins qui travaillent seuls en établissant des mécanismes qui les forcent à participer à des réunions et à discuter de cas et de statistiques. Une forme de rétroaction professionnelle. On travaille là-dessus depuis six mois, mais c'est un long processus. Cela ne se fera pas à l'intérieur d'une année.

9 Pourquoi ce suivi ne se faisait-il pas auparavant?

Les médecins n'ont pas de comptes à rendre quand ils voient un patient, ils jouissent d'une liberté professionnelle. On peut se demander si c'est bon ou pas, mais c'est ainsi. Dans le cas d'activités de dépistage, il y a davantage de mécanismes de surveillance, et on va en ajouter. Sans aller jusqu'à dire que c'est révolutionnaire, on va quand même loin en faisant entrer ces spécialistes dans un régime qui les oblige à rendre des comptes. Je ne pense pas qu'on puisse appliquer cette approche à l'ensemble des médecins et même des radiologistes, ce serait trop lourd. Mais dans le cas du dépistage du cancer du sein, comme ça touche beaucoup de gens et que les femmes sont asymptomatiques, on accepte de se plier à cette approche.

10 Lors de la conférence de presse, cette semaine, on n'a pas accordé beaucoup d'attention au sort des femmes touchées par ces diagnostics erronés. On n'a pas entendu beaucoup de mots réconfortants ou apaisants pour celles qui ont appris tardivement qu'elles étaient atteintes du cancer. Pourquoi?

C'est vrai. Je l'ai constaté après. À l'interne, on voulait surtout arriver avec des solutions, car on savait que les gens nous demanderaient: qu'allez-vous faire pour que cela ne se reproduise plus? Notre soutien, nous, les radiologistes, l'avons montré d'une façon moins visible en révisant 22 000 examens en plus de notre pratique régulière. J'ai lancé un appel à mes membres le 15 décembre 2010 et, au début du mois de janvier, les boîtes de films sont parties. Cela s'est fait sur une base volontaire, les gens auraient pu me dire: on est déjà débordés, on n'a pas le temps, et il aurait fallu qu'on se débrouille autrement, en envoyant les examens en Ontario, par exemple. Mais une quarantaine de radiologistes ont répondu à l'appel et, en trois mois, ils avaient révisé presque tous les examens. C'est vrai que ça ne paraît pas en conférence de presse, mais les radiologistes ont fait preuve d'une véritable solidarité avec les femmes.

TWITTER +1 Lise Roy (@liseroy213 sur Twitter)

Pourquoi a-t-on mis autant de temps avant de se rendre compte du problème?

Parce que le Dr Bergeron ne participait pas au programme de dépistage. S'il avait fait partie du programme, il y aurait quand même eu des cancers non détectés, mais on l'aurait vu plus tôt sur nos radars.