Cent neuf femmes à qui on avait dit que leur mammographie était normale ont appris qu'elles souffrent d'un cancer du sein. Chez 46 femmes, on a décelé des lésions à haut risque.

«Elles ont toutes été jointes et ont été prises en charge», a rapidement assuré mardi le président du Collège des médecins du Québec, le Dr Charles Bernard, en dévoilant les résultats de l'enquête qui s'est échelonnée sur 18 mois et a entraîné la relecture de 22 000 mammographies. Pour en venir à ces conclusions, 41 radiologistes ont été recrutés pour refaire les lectures et 14 cliniques ont été mises à contribution pour des examens complémentaires.

Toute cette enquête remontant à novembre 2001 visait le Dr Raymond Bergeron, âgé de 77 ans, qui pratiquait dans trois cliniques: Radiologie Fabreville (Laval), Radiologie Jean-Talon Bélanger et Domus Medica. Les deux premières cliniques ont depuis été vendues à un regroupement de radiologistes (Radiologix), tandis que la troisième (Domus) a fermé et devrait rouvrir prochainement. Quant au spécialiste en question, il a cessé volontairement sa pratique médicale au moment du déclenchement de l'enquête.

En dévoilant les résultats de son enquête, le Collège a expliqué que les normes gouvernementales établissent le ratio d'erreur de lecture acceptable pour un radiologiste à 1 sur 1000. Dans le cas du Dr Bergeron, l'enquête a révélé qu'il était de 5,6 sur 1000, a-t-on expliqué. «Malheureusement, il y a une discordance anormalement élevée», a précisé le président du Collège.

Même si le Collège parle d'un événement isolé, il a fait 10 recommandations afin d'éviter une autre bavure médicale de cette ampleur au Québec. Un comité a été mis sur pied afin de veiller à leur mise en place. Les cliniques privées seront soumises à des normes plus strictes, les radiologistes aussi, et on souhaite que l'équipement servant à des mammographies soit numérisé dans les plus brefs délais.

L'Association des radiologistes du Québec a réagi aux résultats de l'enquête en précisant que des contrôles de qualité sont déjà en place pour éviter d'autres erreurs diagnostiques. «On n'a pas attendu les résultats de l'enquête, a affirmé le DrFrédéric Desjardins, président de l'Association. Depuis 2010, les cliniques de radiologie doivent obtenir l'agrément de l'Association canadienne des radiologistes. Et on travaille depuis un an pour resserrer les mécanismes existants.»

Paul Brunet, dirigeant du Conseil pour la protection des malades, est pour sa part outré que les radiologistes ou le Collège n'aient pas prévu un dédommagement. «Je suis tanné de constater qu'il n'y a jamais rien pour les victimes et les malades. Il me semble que l'Association pourrait offrir une indemnité aux femmes, et pas juste à celles qui ont appris qu'elles ont le cancer. Il faut penser au stress vécu mentalement. Et je crois que ce serait un moyen de leur éviter le drame et les affres des poursuites devant les tribunaux.»

Au cabinet de l'avocat Jean-Pierre Ménard, reconnu pour son expérience dans les causes médicales, on affirme qu'au moins neuf personnes ont pris contact avec le cabinet pour s'informer des recours possibles, dont la majorité concernant le Dr Bergeron. L'an dernier, ce même cabinet avait présenté trois cas en point de presse, tous liés à un mauvais dépistage du cancer du sein.

«Il faut se demander comment ça se fait qu'il a fallu attendre 14 ans après la mise sur pied du Programme de dépistage du cancer du sein pour la mise en place de mécanismes de contrôle médical, a souligné l'associé du cabinet, Me Jean-François Leroux. On peut aussi se demander quel sera le délai pour la mise en place du contrôle de l'acte, et par qui. Donc, plusieurs questions demeurent.»

Interpellé en Chambre, le ministre de la Santé Yves Bolduc a dit que son gouvernement ne pouvait pas se positionner en ce qui concerne le dédommagement, mais que des correctifs seront apportés. «Il y a des milliers de cas pour le cancer du sein, a-t-il ajouté. On veut le moins possible d'erreurs. Et pour chaque erreur, c'est un drame, il faut le reconnaître. Le programme est reconnu comme étant de très haute qualité. Il n'est donc pas question de revoir le programme. Par contre, au niveau des lectures, il y a des améliorations à apporter.»

- Avec la collaboration de Tommy Chouinard

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EN RÉMISSION 



Louise Moreau a accueilli avec soulagement les conclusions de l'enquête sur les mammographies, mais surtout les recommandations. Elle ne fait pas partie des 109 femmes qui ont été rappelées dans le cadre de l'enquête, mais sa mammographie avait été mal lue par le Dr Raymond Bergeron. La femme dans la cinquantaine fêtera son deuxième anniversaire de rémission au mois de mai. Elle touche du bois pour que le cancer du sein ne récidive pas.

«Selon moi, il est clair qu'il y a eu discordance dans les résultats chez davantage de femmes que les 109 parce que je suis de celles qui ont récupéré les films pour passer un autre examen», a-t-elle dit mardi, lorsque jointe par La Presse.

Au lendemain du déclenchement de l'enquête, en 2010, MmeMoreau avait pris contact avec nous pour raconter comment, après une première mammographie, le radiologiste lui avait dit de «dormir sur ses deux oreilles et de revenir dans six mois». En réalité, elle souffrait d'un cancer au stade avancé. Outrée par l'erreur médicale, elle avait porté plainte auprès du Collège des médecins. Elle n'est pas la seule; au moins cinq patientes ont porté plainte, a-t-on appris.