Le nombre de chirurgies pratiquées pour la hanche, le genou, la cataracte, de même que les chirurgies d'un jour ont grimpé en flèche l'année dernière au Québec. Mais l'attente moyenne pour se faire opérer demeure pratiquement inchangée depuis trois ans, avec un délai moyen d'environ deux mois (8,4 semaines), révèlent les dernières données du ministère de la Santé obtenues par La Presse.

Pas moins de 336 053 personnes sont passées sous le bistouri à travers la province entre le 1er avril et le 31 décembre 2011. C'est 14 000 chirurgies de plus qu'en 2010 pour cette tranche de l'année. À ce rythme, environ 500 000 personnes auront subi une opération sur une période de 12 mois au Québec, estime-t-on au gouvernement.

Globalement, neuf patients sur dix (93%) parviennent à se faire opérer dans un délai de six mois. Mais encore cette année, l'attente est pénible quand il est question d'une chirurgie à la hanche ou au genou. Dans le cas du genou, à peine un peu plus de trois patients sur quatre (77,3%) obtiennent leur chirurgie en six mois et moins à travers la province, pour une attente moyenne frisant les cinq mois (17,4 semaines). Les gens qui ont besoin d'une opération à la hanche doivent pour leur part attendre en moyenne 15,7 semaines, mais près de deux patients sur dix (18,8%) doivent prendre leur mal en patience durant plus de six mois.

Difficile de faire mieux

En entrevue avec La Presse, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a expliqué que ce sera difficile de faire mieux sur le plan de l'attente moyenne au Québec. Il fait toutefois remarquer que 98 000 personnes étaient sur les listes d'attente au début du mois de janvier dernier, contrairement à 113 000 en janvier 2011. «J'ai donc récupéré 15 000 patients sur les listes d'attente. J'opère actuellement plus qu'il y a d'inscriptions, et il faut noter que 80% de nos patients se font opérer dans un délai de trois mois», précise-t-il.

Le ministre Bolduc pointe aussi certaines régions plus problématiques que les autres, qui font augmenter les moyennes d'attente. En haut de la liste, il y a Montréal et Laval. On compte aussi la Montérégie et la région de la capitale nationale, où l'attente est longue, souvent très longue.

À Montréal, à peine trois patients sur quatre (74,7%) parviennent à se faire opérer pour le genou à l'intérieur de six mois, et c'est à peine mieux pour la hanche (80,2%). La performance est toutefois pire à Laval, avec l'obtention d'une opération en six mois et moins pour à peine 59,6% des 263 personnes qui ont dû se faire opérer pour le genou l'an dernier. Dans les Laurentides, une personne sur trois attend plus de six mois et le portrait est encore moins reluisant dans la grande région de Québec, avec seulement 63,4% des patients qui obtiennent une chirurgie du genou en six mois et moins.

«La norme c'est de parvenir à opérer nos patients à l'intérieur de 16 semaines, rappelle le ministre de la Santé. Il faut mettre les données en perspective et comprendre que c'est plus de la moitié des gens qui parviennent tout de même à se faire opérer en six mois et moins.»

Ententes entre les hôpitaux

Afin d'augmenter les performances de ces régions, le ministre Bolduc explique aussi que des ententes entre les hôpitaux ont été conclues afin que les chirurgiens puissent se prévaloir de temps opératoire dans d'autres établissements de santé. À Montréal, les chirurgiens en orthopédie et dans d'autres spécialités du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) peuvent opérer à l'hôpital de Verdun. Ceux de l'Hôpital juif et du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) peuvent opérer à l'hôpital de LaSalle. Il en va de même pour les chirurgiens de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont qui peuvent avoir du temps opératoire à Santa Cabrini. Sans oublier certaines interventions de l'Hôpital du Sacré-Coeur qui se déroulent à la clinique privée Rockland. Et enfin, les chirurgiens de l'Hôpital de Montréal pour enfants ont accès aux salles d'opération de LaSalle et du Lakeshore.

Il arrive toutefois que des patients préfèrent passer leur tour, notamment parce qu'ils ne veulent pas aller dans un autre centre hospitalier. «Il y a un problème qui demeure toujours le même, année après année, enchaîne le ministre Bolduc. Environ la moitié de nos patients refusent de se faire opérer pour toutes sortes de raisons. Le problème, c'est donc le patient.»

Le ministre Bolduc a aussi les yeux tournés vers la Saskatchewan, province où les chirurgiens dévoilent publiquement leur liste d'attente. Pour l'instant, ce n'est pas inscrit dans la loi au Québec, mais Yves Bolduc aimerait une ouverture de la part des spécialistes.

«De plus en plus de chirurgiens acceptent de partager leur liste d'attente, mais il y a encore trop de spécialistes, surtout à Montréal, qui conservent de longues listes d'attente, dit-il. En les partageant, ça nous permettrait d'offrir une chirurgie avec un autre spécialiste à nos patients qui attendent depuis plus de six mois.»

L'Association québécoise des chirurgiens n'a pas encore réagi à ces plus récentes données. L'an dernier, le président, Dr Roger Grégoire, avait trouvé «insultant» qu'une partie du blâme soit jeté sur les chirurgiens. Selon lui, le gouvernement a adopté une loi qui fait en sorte que les chirurgiens se font embêter à cause de la deuxième offre obligatoire quand les délais sont trop longs.

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Brèche dans le système public

Dans un jugement qui a ébranlé tout le pays au milieu des années 2000, la Cour suprême a permis à un Québécois de contracter des assurances privées pour s'offrir des soins médicaux dans le secteur privé (jugement Chaoulli). À la suite de ce jugement, le gouvernement Charest, avec à l'époque Philippe Couillard à la Santé, a adopté le projet de loi 33 qui visait notamment à garantir des chirurgies à l'intérieur de six mois et moins.

Depuis, la province autorise les gens à souscrire à une assurance privée pour se payer certaines interventions chirurgicales au privé, comme pour la hanche, le genou, la cataracte. En gros, cela signifie que si, après six mois d'attente, un patient n'a pas été opéré, il peut être référé au privé par un établissement public de santé. Cette loi permet aussi aux chirurgiens de se désaffilier de la Régie de l'assurance maladie du Québec pour pratiquer à la fois au privé et dans le public. Ils sont payés à l'acte. Donc, les chirurgiens au privé sont remboursés par le gouvernement pour chaque opération, à l'exception des frais accessoires. Lors de l'adoption de la loi, en 2007, le coût de ces mesures était évalué à plus de 20 millions par année.

Dans la foulée de l'adoption de cette loi, les critiques en matière de santé ont décrié un système parallèle de santé qui n'enlève pas l'obligation des contribuables à souscrire au régime public.

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19,9 semaines, selon l'Institut Fraser

L'institut Fraser, organisme canadien de recherche en politique publique, s'est penché sur 12 spécialités dans 10 provinces, en novembre dernier, afin de tracer les temps d'attente. Selon son étude, les Québécois doivent attendre en moyenne 19,9 semaines pour se faire opérer. En Ontario, le délai d'attente était de 14,3 semaines. Pour l'ensemble du Canada, l'attente a atteint un record peu enviable de 19 semaines.

Au lendemain de la parution, les conclusions de l'étude ont toutefois été vivement critiquées par le ministre Yves Bolduc. À son cabinet, on avait fait remarquer que pour en arriver à ces données, l'Institut Fraser avait procédé par sondage auprès des spécialistes de 12 sphères de la chirurgie. Ce qui signifie que seulement 10% des spécialistes avaient été sondés, selon le gouvernement.