Loin de tous échouer à la rue, les parents dominés par l'alcool ou la drogue arrivent souvent à travailler, mais leurs enfants sont tout de même marqués.

Traitée à Portage l'automne dernier, Élise, 30 ans, a travaillé comme intervenante dans un centre jeunesse et dans un CLSC. Sa vie a basculé lorsque son médecin lui a prescrit des opiacés, après un grave accident de voiture. Elle a vite commencé à se les injecter, et a développé une obsession distincte pour la cocaïne.

Avec sa formation, elle croyait sa famille à l'abri. «Mais un soir, je me suis gelée et mon fils a refusé de venir dans mes bras, se souvient-elle. Ses yeux étaient pleins de peur. Je me disais que je serais mieux morte, qu'il pourrait être élevé par une bonne famille, du monde normal.»

Même quand leurs besoins matériels sont comblés, les enfants élevés par des toxicomanes restent marqués, affirme Rodrigue Paré, directeur de la Maison Jean-Lapointe. «Leur parent est très imprévisible, dit-il. Il change d'un jour à l'autre au gré de son état. Il dit des choses énormes, puis voudra se faire pardonner. Il brise ses promesses. L'enfant qui grandit dans un tel climat d'insécurité émotive en souffrira toute sa vie. Il sera toujours à l'affût.»

Selon Santé Canada (1), environ la moitié des enfants de toxicomanes souffrira d'anxiété ou de dépression. Le tiers fera preuve d'agressivité, d'hyperactivité ou d'un trouble de l'opposition. Et une bonne proportion s'évadera à son tour dans la drogue. «Quand ils voient que sauver leur parent est impossible, ils se déresponsabilisent à leur tour et engourdissent leur propre souffrance», constate Nathalie Bremshey, chef de service au centre de réadaptation Le Maillon de Laval.

Plusieurs petits se blâment, précise pour sa part M. Paré. «Ils pensent qu'ils n'ont pas été assez gentils ou n'ont pas eu d'assez bonnes notes. Ils s'isolent parce qu'ils ont trop honte pour inviter des amis à la maison. Ça affaiblit encore leur réseau.»

Lorsqu'ils ne vivent pas dans la pauvreté et ne semblent pas négligés, les enfants sont moins susceptibles de recevoir de l'aide, même si le manque d'encadrement les perturbe, s'inquiète-t-il. «À l'école, on pensera qu'ils font des caprices.»

(1) Les enfants résilients de parents toxicomanes, 2007.