Habitués aux pénuries de médicaments qui se multiplient depuis quelques années, les hôpitaux québécois sont toutefois aux prises avec une crise sans précédent. Le Misoprostol, un médicament utilisé abondamment en obstétrique et pour lequel il n'existe aucun équivalent, n'est plus sur le marché. Et il ne sera pas accessible avant... 2013.

La chef du département d'obstétrique et gynécologie au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, la Dre Diane Francoeur, est en colère. Selon elle, il est plus que temps d'agir pour empêcher les compagnies pharmaceutiques de décider comme bon leur semble de produire ou non certains médicaments.

Le Misoprostol est utilisé en obstétrique, notamment pour diminuer les hémorragies post-partum. «C'est un médicament que je prescris tous les jours, dit la Dre Francoeur. Il était destiné à régler des problèmes d'estomac. Mais quand on lui a trouvé des fonctions en obstétrique, ça a révolutionné la santé des femmes. C'est utilisé depuis au moins 10 ans pour faire contracter l'utérus après l'accouchement. Ça diminue de beaucoup le nombre de transfusions sanguines.»

Le Misoprostol est aussi utilisé pour ramollir le col de l'utérus lors des hystérectomies, ce qui permet de procéder à l'opération avec une faible sédation plutôt que d'endormir la patiente. Le produit est également un «agent avorteur». Par exemple, une femme enceinte dont le bébé décède au deuxième trimestre de grossesse peut accoucher beaucoup plus facilement en prenant du Misoprostol. Le médicament permet finalement d'éviter les curetages en cas de fausses couches.

Pharmacienne au CHU Sainte-Justine, Emma Ferrara indique que 400 comprimés de Misoprostol sont distribués chaque mois dans son établissement. «En octobre, le fabricant nous a dit que le produit était en rupture de stock pour un mois. Même chose en novembre. Puis, on vient de nous dire qu'il n'y en aura pas avant 2013», déplore Mme Ferrara.

Parfois, les pharmaciens parviennent à trouver des équivalents aux médicaments en rupture de stock. «Mais pour le Misoprostol, on n'en a pas encore», note Mme Ferrara.

La compagnie Apotex, qui fabrique le médicament générique Misoprostol, n'a pas rappelé La Presse pour justifier la pénurie. Mais pour la Dre Francoeur, il est clair que des considérations économiques sont en jeu. «Le médicament coûte 17 cents la pilule. C'est peu rentable, dit-elle. C'est inacceptable qu'il n'y ait aucune obligation faite aux compagnies pharmaceutiques. Elles peuvent arrêter de produire un médicament n'importe quand, sans consulter personne! Ce sont les patients qui payent.»

«Une tragédie»

Depuis quelques années, le nombre de molécules en pénurie ne cesse d'augmenter au Québec. En 2008, les pharmaciens ont dû composer 38 fois avec des ruptures de stock. Depuis le début de l'année, c'est arrivé 191 fois - une augmentation de plus de 400%, révèlent des données de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ). Et l'année n'est pas encore terminée. «Tous les jours, il y a de nouveaux produits qui ne sont pas disponibles», dit

Mme Ferrara.

Plusieurs raisons expliquent ces pénuries, dont le manque de matières premières et la fermeture inopinée de laboratoires qui ne respectent pas certaines normes sanitaires. Les sociétés pharmaceutiques sont aussi soupçonnées de ralentir parfois la production de certains médicaments «moins rentables».

Au cours des derniers mois, plusieurs intervenants ont demandé que des mesures soient prises pour forcer les sociétés pharmaceutiques à produire certaines molécules en priorité.

La Régie de l'assurance maladie du Québec et l'Institut d'excellence en santé et services sociaux (INESSS), qui devaient au départ mener des discussions à ce sujet, ont dit hier ne pas être concernés par ces pourparlers. Au cabinet du ministre de la Santé, Yves Bolduc, on dit être en réflexion sur le sujet.

La Dre Francoeur croit que le temps presse: «Pour les femmes, le manque de Misoprostol est une tragédie. Ce n'est pas vrai que les pénuries de médicaments n'ont pas d'impact sur la santé des gens.»