Danielle Déry souffre du cancer depuis 2009. Mère d'une fillette de 7 ans, elle veut profiter de la vie le plus longtemps possible. Jusqu'à tout récemment, un médicament, le Caelyx, lui permettait d'y arriver. Mais il y a deux mois, ce traitement de chimiothérapie s'est retrouvé en pénurie, comme 125 autres médicaments depuis le début de l'année. Une situation inacceptable selon la patiente, qui ne comprend pas comment, en 2011, le Canada peut accepter de priver des gens de précieux traitements.

Au printemps 2009, Mme Déry a appris qu'elle souffrait d'un cancer des ovaires. Après avoir subi une opération et six mois de traitements, elle croyait son enfer terminé. Mais la maladie est revenue l'an dernier. «À ce moment, on m'a dit que mon espérance de vie était réduite», raconte-t-elle. Pour prolonger sa vie de quelques mois et profiter de tous ses instants avec sa fille, Mme Déry a commencé à prendre du Caelyx. «On m'a dit que le médicament pourrait prolonger ma vie de 30 mois. Quand on a le cancer, une journée, c'est magnifique. Imaginez 30 mois!», note-t-elle.

Lors de ses premiers traitements de chimiothérapie, Mme Déry a subi beaucoup d'effets secondaires. «Je perdais mes cheveux. J'avais des vomissements. Pas avec le Caelyx. J'ai une belle qualité de vie», dit-elle. Mais il y a deux mois, le Caelyx s'est retrouvé en rupture de stock au pays. Des dizaines de patients comme Mme Déry se sont fait dire qu'ils ne pouvaient plus recevoir leur traitement.

Pendant deux mois, Mme Déry n'a pris aucune médication. «Je me suis fait offrir de revenir à mon premier traitement, mais je ne voulais pas avoir ces effets secondaires.»

Jusqu'à lundi, Mme Déry ignorait si elle pourrait reprendre sa consommation de Caelyx. Car la disponibilité du médicament restait inconnue. «J'ai finalement été chanceuse et été choisie parmi les patients qui pourront en avoir. Mais d'autres n'ont pas pu en obtenir! dénonce Mme Déry, qui est traitée au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM). Aujourd'hui, des gens vont dans l'espace, mais on est incapables de fournir des médicaments aux gens. C'est ridicule!»

La présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec, Diane Lamarre, confirme que le Québec est en rupture de stock de Caelyx. «Le CHUM en a un tout petit peu. Mais la situation est très difficile», dit-elle.

Hausse de 232%

Le nombre de médicaments en pénurie ne cesse d'augmenter au Québec. En 2008, les pharmaciens ont dû composer 38 fois avec des ruptures de stock. De janvier à août 2011, c'est arrivé 126 fois - une augmentation de 232%. Et l'année n'est pas encore terminée.

Plusieurs raisons expliquent ces pénuries. Notamment, les matières premières sont de plus en plus concentrées dans certains pays. Une simple catastrophe naturelle suffit pour bouleverser le marché mondial. Des laboratoires ferment inopinément parce qu'ils ne respectent pas certaines normes sanitaires ou parce que les employés sont en grève. La fermeture d'une seule usine peut avoir des effets importants.

Ce sont d'ailleurs des problèmes dans le contrôle de la qualité à l'usine de production Ben Venue, en Ohio, qui ont entraîné la pénurie de Caelyx et de 15 autres médicaments en août dernier. L'usine avait dû procéder à des modifications avant de poursuivre sa production. Les sociétés pharmaceutiques sont aussi soupçonnées de ralentir parfois la production de certains médicaments «moins rentables».

Au cours des derniers mois, plusieurs discussions ont eu lieu entre la Régie de l'assurance maladie du Québec, l'Institut national d'excellence en santé et les associations de pharmaciens pour trouver des solutions à ces pénuries. Les pharmaciens aimeraient entre autres qu'un système permettant de connaître l'état des stocks de médicaments en temps réel dans toutes les régions du Québec soit créé. Des mesures pour forcer les sociétés pharmaceutiques à produire certaines molécules en priorité sont aussi demandées.

«Il faut une réaction en concertation. On est rendu au bout de ce que les professionnels peuvent faire pour régler les pénuries. Des patients sont touchés. Il faut agir», dit Mme Lamarre.