Estimant avoir été congédiés injustement, 170 auxiliaires familiaux réclament 6 millions au Centre de réadaptation Lisette-Dupras

Rosenie Eugène a travaillé pendant 12 ans comme auxiliaire familiale auprès de personnes handicapées au Centre de réadaptation Lisette-Dupras, à Montréal. Mais, comme 169 de ses collègues, elle a perdu son emploi le 31 mars dernier. Aujourd'hui, le groupe de travailleuses, dont 75% sont des femmes immigrées, réclame 6 millions de dollars en dommages au Centre Lisette-Dupras.

«J'aimais mon travail! Les gens que j'aidais, c'était comme mes enfants! Je les aidais à prendre leurs médicaments, à faire leurs commissions, à faire leur ménage... Tout ça pour 12$ l'heure. Et, du jour au lendemain, on m'a mise dehors», dit Mme Eugène.

Mme Eugène et ses collègues gagnaient de 10$ à 12$ l'heure. Elles travaillaient pour deux agences de placement de personnel, qui n'avaient de contrats qu'avec le Centre Lisette-Dupras. En comparaison, le même travail dans le réseau public est payé 19$ l'heure.

Mécontents de cet écart salarial, les employés ont porté plainte pour discrimination en 2008 à la Commission des droits de la personne. Une enquête est toujours en cours.

Mais les événements se sont bousculés quand, au début de l'année, le Centre Lisette-Dupras a décidé de mettre fin aux contrats des deux agences de personnel, faisant perdre leur travail aux 170 employés.

Alain Croteau était du nombre. «C'est clairement survenu après qu'on a tenté de faire reconnaître nos droits», relève-t-il. Comme plus de la moitié de ses collègues, il est toujours au chômage.

Une plainte a été portée en mars à la Commission des relations du travail. Les employés voulaient faire reconnaître que leur véritable employeur était le Centre Lisette-Dupras et qu'il les avait congédiés abusivement. Le 22 juin, la Commission a accueilli la plainte et déclaré qu'il est «manifeste» que le Centre Lisette-Dupras «agit à titre de véritable employeur». Le Centre Lisette-Dupras a demandé la révision de cette décision; sa requête est toujours devant la Commission.

Pas assez qualifiés

Peu après avoir mis un terme aux contrats des deux agences de placement, le Centre Lisette-Dupras a ouvert 130 postes à l'interne et a engagé environ 40% des anciens employés des agences, les autres n'étant, à son avis, pas assez qualifiés. «Ils n'ont engagé que 10% des anciens employés», croit plutôt M. Croteau. «Ils nous ont dit qu'on n'était pas qualifiés, mais plusieurs d'entre nous travaillaient là depuis 10, 15, 20 ans! dit Micheline Alcindor, qui n'a pas non plus été rengagée. Nous nous sommes sentis humiliés et diminués.»

Le nouveau directeur du Centre Lisette-Dupras, Louis-Marie Marsan, affirme que l'établissement a décidé de mettre fin aux contrats des agences de placement après avoir adopté un «virage spécialisation». «Nos attentes ont changé, explique-t-il. Nous avons diversifié nos services. Nous voulons engager et former notre personnel.»

Il soutient que certains employés qui travaillaient pour les agences n'étaient plus suffisamment qualifiés. «Ils ne répondaient pas aux critères du réseau», note-t-il.

«Peu importe les raisons qui ont poussé le Centre Lisette-Dupras à signer un contrat avec ces deux agences, la réalité, c'est que ces femmes ont subi un traitement différentiel avec des conséquences discriminatoires. On a créé un ghetto de l'emploi», dit Fo Niemi, directeur du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), qui est mêlé au dossier.

Selon lui, le conflit au Centre Lisette-Dupras créera un précédent. «Il y a de plus en plus de contrats signés avec des agences privées dans le réseau de la santé et des services sociaux. On espère que ça aura un impact.»