Les fabricants de tabac ont échoué dans leur tentative de faire payer au gouvernement fédéral une partie des sommes qu'ils pourraient devoir verser dans deux poursuites.

Dans une décision unanime de neuf juges rendue ce matin, le plus haut tribunal du pays estime que le gouvernement fédéral n'est pas à blâmer pour le fait que, pendant une certaine période, les cigarettes légères, plus faibles en goudron, ont été présentées aux consommateurs comme moins nocives pour la santé, alors que ce n'était pas le cas.

Cet argument des compagnies de tabac a été invoqué dans deux causes. Dans un cas, il s'agit d'un recours collectif intenté par des fumeurs en Ontario. L'autre cause implique la démarche faite par la Colombie-Britannique pour recouvrer d'un groupe de compagnies de tabac les sommes consacrées au traitement médical de personnes souffrant de maladies liées au tabagisme.

La décision de ce matin a pour effet de permettre aux deux causes en question de suivre leurs cours.

Le Québec a suivi l'exemple de la Colombie-Britannique en adoptant en 2009 la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac. Toutes les provinces ont maintenant une loi semblable.

Il y a des milliards en jeu et les compagnies de tabac contestent ces lois par tous les moyens. Au Québec, la Cour supérieure a jugé l'an dernier qu'elles avaient le droit d'invoquer la Charte québécoise des droits et libertés parce que la nouvelle loi québécoise les privait de moyens de défense dans deux recours collectifs.

La décision de la Cour suprême a été applaudie par la Société canadienne du cancer, qui souhaite maintenant que tous les procès aillent de l'avant.

«Cette décision constitue une importante défaite pour l'industrie, affirme par communiqué Me Rob Cunningham, avocat et analyste principal des politiques de la Société canadienne du cancer. Depuis longtemps, l'industrie du tabac tente de rejeter sur d'autres la lourde responsabilité du coût des soins liés à l'usage du tabac, mais la Cour suprême a rejeté les arguments de l'industrie.»

La Société rappelle que toutes les provinces ainsi que le Nunavut «ont adopté des mesures législatives facilitant les poursuites contre l'industrie du tabac en vue de récupérer les coûts des soins liés à l'usage du tabac». Quatre provinces ont à ce jour intenté des poursuites, dont l'Ontario, qui réclame à elle seule 50 milliards. Quatre autres provinces, dont le Québec, ont annoncé leur intention de le faire.

La Société souligne en outre que «les produits du tabac constituent la principale cause évitable de maladie et de décès au Canada, tuant 37 000 Canadiens chaque année». Le tabac cause 85% des cancers du poumon, qui tuera cette année plus de 20 000 Canadiens.

Pas de responsabilité pour les cigarettes «légères»

Dans la décision rendue ce matin, la Cour suprême devait trancher une question juridique fondamentale.

Est-ce qu'en encourageant les fumeurs à adopter les cigarettes légères, et en aidant à produire des variétés de tabac faibles en goudron, le gouvernement a engagé sa responsabilité, comme un simple fabricant?

Ou est-ce que, au contraire, cela relevait d'une politique visant l'intérêt général, soit la réduction par tous les moyens des dommages causés par le tabagisme?

Les compagnies de tabac soutenaient «que ces déclarations étaient fausses et que, dans la mesure où l'usage du tabac a causé aux consommateurs un préjudice additionnel dont sont tenues responsables les compagnies de tabac, le Canada doit indemniser celles‑ci ou éponger une partie de leurs pertes».

Selon la Cour suprême, cet argument doit être rejeté.

«Le Canada a élaboré cette politique par souci pour la santé des Canadiens et Canadiennes et en raison des coûts individuels et institutionnels associés aux maladies causées par le tabac, écrit la Cour, sous la plume de la juge en chef Beverley McLachlin.  Il m'apparaît évident et manifeste que les déclarations alléguées relevaient de la politique générale du gouvernement, de sorte que les allégations de déclarations inexactes faites par négligence qu'ont formulées les compagnies de tabac à l'encontre du Canada doivent être radiées.»

En outre, la Cour a jugé qu'il ne pouvait tenir le gouvernement responsable des dommages subis par ceux qui ont suivi ses conseils en fumant des cigarettes légères, parce  que le gouvernement n'avait aucun contrôle sur le nombre de fumeurs ni le nombre de cigarettes vendues. Cela imposerait donc «responsabilité indéterminée» au gouvernement, ce que les tribunaux doivent éviter.