Après de longs mois de préparation, l'infirmière Gisèle Guilbault a ouvert une maison d'accueil à Sainte-Julienne en mai 2009. Pendant deux ans, elle s'est occupée de près de 40 enfants en détresse, envoyés par le centre jeunesse de Lanaudière. Mais en mai dernier, elle a dû fermer les portes de sa maison, par manque de fonds. Mme Guilbault aimerait faire revivre son projet. Mais après avoir investi 575 000 $ dans l'aventure, elle n'a plus les moyens d'avancer, à son plus grand désarroi.

«Quand j'ai dû fermer ma maison, j'avais deux jeunes adolescents ici qui ne voulaient pas partir. Ils voulaient rester jusqu'à ce qu'ils atteignent 18 ans. Ils ont dû partir de force quand j'ai fermé. Ça me tordait les boyaux. Je me sens tellement coupable!», raconte Mme Guilbault.

Infirmière de formation, Mme Guilbault a eu l'idée d'ouvrir une maison d'accueil pour enfants en détresse il y a cinq ans. Elle a quitté son emploi d'infirmière à Montréal. Elle a vendu sa maison de Terrebonne et s'est installée temporairement chez ses parents, le temps de faire construire une grande maison à Sainte-Julienne sur un terrain de cinq arpents en plein coeur de la forêt. Elle s'est fait engager comme infirmière de nuit dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) de Lanaudière. «Je travaillais la nuit au CHSLD. Et mes jours de congé et un peu le jour pour mon projet», raconte celle qui est aussi mère de deux filles de 27 et 25 ans.

Une petite stabilité

La maison d'accueil de Mme Guilbault a ouvert ses portes en juillet 2009. Les premiers enfants accueillis étaient des jumeaux d'à peine quelques jours, dont les parents étaient incapables de s'occuper. «On les a gardés cinq mois. Après, ils ont été placés en adoption», relate-t-elle.

Mme Guilbault ne voulait pas adopter les enfants qu'elle accueillait. «J'ai 57 ans! Ça n'aurait pas été un service à leur rendre! Je voulais juste les prendre quelque temps. Je voulais leur donner une petite stabilité dans leurs moments de détresse. Parce que, selon moi, les enfants sont la richesse de notre société. Et il faut aider les plus négligés», dit-elle.

Pendant les deux ans où la maison a été ouverte, Mme Guilbault a accueilli près de 40 enfants aux prises avec des problèmes divers. La dame se rappelle entre autres une jeune fille de 16 ans qui était enceinte. «Ici, je lui ai appris à s'occuper d'un enfant. Elle m'aidait avec les jumeaux», raconte Mme Guilbault.

Aujourd'hui, la grande maison de Mme Guilbault est vide et à vendre. La dizaine de chambres sont inoccupées. Il ne reste que quelques jouets dans le grand sous-sol autrefois occupé par les enfants.

C'est à contrecoeur que Mme Guilbault a cessé ses activités de famille d'accueil. «Je n'avais plus les moyens. Dans la majorité des familles d'accueil, le père travaille et la mère s'occupe des enfants. Moi, j'ai dû engager une employée qui m'aidait avec les enfants. Je continuais de travailler à temps plein comme infirmière de nuit et consacrais le reste de mon temps aux enfants. Je n'arrivais plus», dit-elle. Pour survivre, elle aurait dû engager un employé à temps plein de plus. Mais elle n'avait pas les moyens. «Aujourd'hui, j'ai le sentiment de culpabilité dans le tapis», souffle-t-elle.

Avec le recul, l'infirmière reconnaît avoir été «un peu trop idéaliste». «J'aurais pu faire un plus petit projet. Mais je me disais que ce n'est pas parce que le projet s'adressait à des enfants qu'il fallait faire ça tout croche. Je voulais leur offrir quelque chose de beau», dit-elle.

Manque de fonds

Selon Mme Guilbault, les sommes versées par les centres jeunesse aux familles d'accueil sont minimes. «Mais je ne m'en plains pas. Je comprends que les centres jeunesse n'aient pas d'argent. Le centre jeunesse de Lanaudière m'a toujours soutenue du mieux qu'il le pouvait», dit-elle.

La présidente de la Fédération des familles d'accueil et ressources intermédiaires du Québec, Véronique Dubé, explique que les familles d'accueil sont sous-financées. Les familles reçoivent de 18$ à 26$ par jour pour payer le gîte et le couvert aux enfants. «Mais 26$ par jour pour payer toute la nourriture des adolescents, ce n'est pas toujours suffisant», dit-elle. Seuls certains centres jeunesse paient les vêtements et les loisirs des enfants en famille d'accueil. «Les centres jeunesse manquent d'argent. Donc les familles paient pour ce qui reste. Les familles d'accueil se retrouvent à financer l'État en payant pour les enfants», dit-elle.

Président du conseil d'administration du centre jeunesse de Lanaudière, René Brouillette confirme que les organisations comme la sienne ne roulent pas sur l'or. «Et surtout ici, dans Lanaudière, on a un manque à gagner de 3 à 4 millions. On est dans les trois meilleurs centres jeunesse en ce qui concerne la production. Mais on est parmi les plus pauvres», dit-il.

M. Brouillette assure que les services offerts par Mme Guilbault étaient plus qu'adéquats et que le centre jeunesse aurait aimé qu'elle poursuive ses activités. «Mais on ne pouvait rien faire. Mme Guilbault est infirmière. Elle est super qualifiée. On aurait aimé en définitive lui confier plusieurs enfants naissants, qui sont des cas plus complexes. Mais pour économiser des ressources, il aurait fallu faire une entente inter-centre, et ça prend du temps», dit-il.

Le directeur général des centres jeunesse de Lanaudière, Pierre Racette, estime que le projet de Mme Guilbault était «grandiose», mais irréaliste dans les conditions actuelles. «Pour fonctionner, elle devait avoir un grand volume d'enfants en tout temps. Et nous n'avions pas le volume suffisant. C'est dommage parce que Mme Guilbault est pleine de bonne volonté. Mais je ne sais pas quelle pourrait être sa clientèle. On recherche plutôt des milieux familiaux», souligne-t-il.

Mme Guilbault est gênée. Elle ne veut pas être prise en pitié. Mais elle estime que son projet est louable et espère pouvoir le faire renaître. Elle a cogné à toutes les portes pour essayer de recueillir des fonds. «J'ai essayé de passer au Banquier. À Denis Lévesque. J'ai joint mon député qui était François Legault à l'époque. Mon centre local de développement. Mais rien n'a abouti, témoigne-t-elle. Je ne regrette pas ce que j'ai fait parce que ça m'a apporté beaucoup. Mais si le projet pouvait revivre, je serais bien heureuse», dit-elle.