L'infirmière Lucie Tremblay empoigne notre main. Elle enroule ses doigts autour de notre pouce et referme son autre main par-dessus. Son emprise est douce. Sa voix, apaisante. «Quand on tient un patient comme ça par la main, il se calme instantanément», dit-elle. Une affirmation qu'on ne peut mettre en doute.

Mme Tremblay travaille depuis 13 ans au Centre gériatrique Maïmonides Donald Berman de Montréal, un immense CHSLD de 385 places dans le quartier Côte-Saint-Luc.

Le 5 juin dernier, Mme Tremblay a été nommée infirmière de l'année par le Collège canadien des leaders en santé. La Presse s'est rendue, mercredi, au centre gériatrique Maïmonides pour rencontrer cette employée exceptionnelle. D'emblée, la principale intéressée souligne qu'elle est une «passionnée de personnes âgées». «Les aînés ont tracé notre chemin. Je leur voue un grand respect. Ici, je côtoie des gens qui sont des survivants de l'Holocauste. Ils ont des numéros tatoués sur les bras. Je touche à l'Histoire tous les jours», dit-elle, les yeux brillants.

Dans la lettre d'appui à la candidature de Mme Tremblay qu'elle a écrite, la directrice du Centre gériatrique Maïmonides, Barbra Gold, écrit: «Quand Lucie parle aux patients, elle les traite comme s'ils étaient les personnes les plus importantes au monde parce que, pour elle, elles le sont.»

Finir en beauté

Dès son arrivée comme directrice des soins infirmiers au Centre gériatrique Maïmonides, il y a 13 ans, Mme Tremblay a commencé à améliorer les pratiques de soins. Sa première action a été de réduire les mesures de contention. «Avant, 66% de nos patients étaient sous contention. Aujourd'hui, seulement 1,3% le sont!», remarque Mme Tremblay. Les employés étaient réticents à détacher les patients. «Ils disaient qu'ils manquaient de temps pour surveiller tout le monde. Ils avaient peur», se rappelle Mme Tremblay.

Mais le changement s'est opéré tranquillement. Et aujourd'hui, les retombées sont plus que positives. «Les patients ont gagné en autonomie. Le nombre de personnes utilisant le fauteuil roulant a fortement diminué», note Mme Tremblay. Ces patients plus mobiles peuvent aller aux toilettes et n'ont plus besoin d'être transférés, ce qui fait gagner du temps aux employés. Mme Tremblay s'est ensuite affairée à réduire les chutes, à prévenir les infections et à éliminer les plaies de lit. «La littérature dit que, dans les CHSLD, environ 30% des résidants ont des plaies de lit. Ici, c'est moins de 10%», affirme-t-elle.

Ce qui guide Mme Tremblay dans tous ses gestes, c'est le désir d'offrir un milieu de vie agréable aux patients. Plusieurs petits gestes sont encouragés. Les employés invitent par exemple les pensionnaires à marcher à l'extérieur tous les jours. Des sorties sont organisées. Une fois par semaine, les patients les plus lourdement atteints par la maladie d'Alzheimer fabriquent du pain. «Ils ne peuvent même plus le manger. Mais ils le partagent avec les autres! Et l'odeur du bon pain stimule leur appétit», explique Mme Tremblay.

Des cours d'éducation aux adultes sont aussi donnés. «Les cours durent 15 semaines. À la fin, il y a une remise des diplômes, note l'infirmière de l'année. Nos patients sont en fin de vie. Ils restent ici en moyenne trois ans avant de mourir. Et 80% souffrent d'Alzheimer. Mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire. Il n'y a pas d'âge pour apprendre.»

Moins de gestionnaires

Mettre en place tous ces petits gestes demande des efforts au personnel. Afin que les ressources soient concentrées au maximum sur le terrain, Mme Tremblay a simplifié l'organigramme du Centre gériatrique Maïmonides. «Notre équipe de gestionnaires est toute petite. On laisse le leadership aux intervenants sur le terrain», dit Mme Tremblay, qui est aussi directrice des soins infirmiers au CHSLD juif de Montréal. Quoique touchée par son prix, Mme Tremblay refuse de le garder pour elle seule. «C'est le leadership de toutes nos équipes qui doit être souligné», dit-elle.

En se promenant dans les corridors du Centre gériatrique Maïmonides, on croise des résidants qui mangent doucement. Mme Tremblay les salue. Il flotte de bonnes odeurs dans l'air. Mme Tremblay rayonne. «J'aime voir mes gens. Si je passe une journée sans avoir de contact avec eux, je deviens grognonne», avoue-t-elle.

Mme Tremblay ne voit pas le jour où elle se lassera de travailler auprès des aînés. «Les connaissances se développent à grande vitesse. Quand j'entends que la gériatrie, c'est ennuyeux, je ne comprends pas! On ne joue pas seulement aux cartes, ici! Pour être capable de soigner des aînés aux multiples maladies, qui ont souvent de la difficulté à communiquer, il faut beaucoup d'expertise. C'est stimulant. Ici, c'est la vie!»