Mercredi dernier, aux urgences de la Cité-de-la-Santé, à Laval, la moitié des 55 civières étaient occupées par des patients âgés de 75 ans et plus. La proportion de personnes âgées est en explosion dans les urgences du Québec - elle a augmenté de près de 6% dans la dernière année. Les spécialistes et même le ministre de la Santé n'hésitent plus à qualifier ce phénomène d'«enjeu de l'heure»: avec le vieillissement de la population qui s'accélère, le poids des aînés sur les urgences ne s'allégera pas de sitôt.

«La majorité des études s'accordent à dire que plus un patient est âgé, plus son cas est lourd, résume le chef du service des urgences de l'Hôpital général juif, le Dr Marc Afilalo. Les aînés ont plus de maladies chroniques, restent plus longtemps aux urgences, demandent plus de ressources. C'est une clientèle qui a un impact sur tout l'hôpital, et il ne faut pas la négliger.»

L'avancement de la science permet à un nombre croissant de Québécois de vivre plus longtemps. «C'est bien. Mais on a créé une génération de patients chroniques aigus qui occupent les lits d'hôpital parce qu'on manque de ressources pour les soigner ailleurs», affirme le chef des urgences du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), le Dr Jean-Marc Troquet. Un nombre croissant de patients âgés, mais aussi de personnes «très âgées» se présentent aux urgences. Il y a quelques semaines, le Dr Afilalo a été fort surpris de voir que 16 de ses 53 civières étaient occupées par des patients de plus de... 90 ans. Une situation impensable il y a quelques années à peine.

Hausse impressionnante

La directrice générale de l'Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), Lise Denis, souligne que, de toutes les statistiques observées cette année, c'est la hausse du nombre de personnes âgées qui est la plus impressionnante. Selon elle, il faut trouver des moyens d'alléger le poids de cette clientèle sur les urgences.

Par exemple, le dernier budget du gouvernement a alloué 150 millions aux soins à domicile et à l'ajout de lits de longue durée, et ces mesures doivent encore être bonifiées.

Le Dr Troquet explique que les urgentologues perdent un temps fou à tenter de trouver des ressources d'hébergement ou des soins à domicile pour leurs patients âgés. «Avec nos patients ordinaires, c'est facile d'atteindre la cible de 12 heures d'attente aux urgences, dit-il. Mais avec la clientèle âgée, c'est beaucoup plus difficile.»

Pour régler le problème, Mme Denis suggère d'engager des intervenants pivots qui se consacreraient à la tâche de libérer plus vite les lits occupés par des personnes âgées. «Il faut aussi ouvrir plus de lits de réadaptation», soutient Mme Denis.

Failles dans les CHSLD

Selon le Dr Troquet, les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) devraient prendre en charge les personnes âgées atteintes de maladies chroniques avancées. «Mais il n'y a pas de médecin en permanence dans ces installations, déplore-t-il. Et il n'y a pas non plus de plateaux techniques pour soigner les cas complexes. Ces patients se retrouvent tous à l'hôpital.»

Depuis quelques mois, un document conçu par l'Institut de gériatrie de Montréal circule dans les hôpitaux pour expliquer au personnel les meilleures façons de soigner les aînés. «Les personnes âgées sont vulnérables et sont plus à risque de déclins fonctionnels à l'hôpital. Pour éviter cela, le guide explique que les hôpitaux doivent essayer par exemple de faire bouger les aînés durant leur hospitalisation et de les garder orientés dans le temps et l'espace», affirme la directrice des affaires médicales à l'Institut de gériatrie de Montréal, la Dre Céline Crowe.

À l'hôpital de Montmagny, on accorde beaucoup d'attention à la clientèle âgée, et cette approche porte ses fruits. Alors que 33% de la clientèle est âgée de 75 ans et plus, la durée moyenne de séjour aux urgences est de seulement 10h06, soit nettement moins que la cible ministérielle de 12 h. La Dre Crowe aimerait que tous les hôpitaux adoptent les «meilleures pratiques» pour les aînés. «Ça se fait, mais lentement. Ce n'est pas facile de changer l'organisation dans les établissements», dit-elle.