Le père Noël ne reçoit pas seulement des listes de cadeaux. Chaque semaine, en novembre et décembre, des adultes écrivent au vieillard du pôle Nord. Plusieurs sont très seuls, d'autres carrément désespérés. D'autres encore sont inquiets pour leurs grands enfants ou simplement nostalgiques de leur jeunesse. Postes Canada est bien embêtée par toutes ces bouteilles jetées à la mer, et ne veut surtout pas les voir prendre le dessus sur les lettres d'enfants.

Cher père Noël, mon conjoint m'a annoncé qu'il ne m'aimait plus et qu'il ne voulait plus mettre d'énergie dans notre relation. Il a eu un autre enfant avec une autre femme. C'est très dur. Merci d'avoir pris le temps de me lire. J'ai des très bonnes amies, mais j'ai l'impression de les tanner ces temps-ci avec ma tristesse...

Chaque semaine, en novembre et décembre, Christiane Ouimet découvre ce genre de lettres sur son bureau de Postes Canada. Celle-ci a été postée de Laval, par la mère d'une fillette de 4 ou 5 ans. «Mais la dame n'envoie pas de liste de jouets, précise Mme Ouimet. Elle écrit seulement pour elle. Ce soir-là, sans doute qu'elle n'en pouvait plus.»

«Notre programme est fait pour les enfants, et non pour les adultes, rappelle la porte-parole de la société d'État. Alors nos lutins bénévoles sont un peu dépassés par ces lettres.»

Au cours des deux dernières semaines, une dizaine de cartes et de messages soigneusement calligraphiés par des adultes ont ainsi atterri dans sa boîte de missives délicates. Il y en avait eu une poignée d'autres dès la mi-novembre, et il y en aura sûrement d'autres d'ici le 25 décembre. Année après année, c'est la même chose, au Québec, comme dans toutes les provinces canadiennes, constate Mme Ouimet.

Neuf fois sur dix, c'est une femme qui écrit. «Mais depuis quatre ans, le même homme nous envoie son bilan annuel», dit-elle.

Thème fréquent : la solitude. «On en voit beaucoup dans la région de Montréal et dans les grands centres», affirme la porte-parole.

Certaines lettres lui crèvent le coeur. Comme celle de cette femme incapable de se remettre de la mort de sa soeur. «Elle m'a fait pleurer toutes les larmes de mon corps, confie Mme Ouimet. Mes collègues aussi ont pleuré. La dame racontait au père Noël tout ce qui s'était passé en disant: J'ai besoin de l'écrire à quelqu'un. Ma soeur me manque tellement. J'étouffe!»

La semaine dernière, c'est une grand-mère qui a écrit pour raconter que sa fille, victime de violence conjugale, devra bientôt témoigner contre son conjoint. Qu'elle a par ailleurs de grosses difficultés financières et n'arrive plus à payer sa facture d'électricité. «La grand-mère réclame de l'aide pour que sa fille et sa petite-fille puissent enfin respirer, raconte Mme Ouimet. Mais tout ce qu'on peut faire, c'est envoyer sa lettre à notre programme d'aide aux employés. Le père Noël ne peut évidemment pas payer leur carte de crédit, ni leur facture d'Hydro-Québec. Les gens sont-ils démunis au point de ne pas savoir qu'il existe des organismes pour leur venir en aide? Sont-ils trop gênés? C'est très triste.»

Au début du programme de lettres au père Noël, Postes Canada recevait plusieurs demandes de paniers de Noël. Grâce à la Guignolée, c'est beaucoup plus rare aujourd'hui, constate Mme Ouimet. Les ruptures, la recherche de l'âme soeur restent par contre très souvent abordées. «Parfois, le ton est rigolo. La personne demande au père Noël de lui laisser un monsieur ou une madame sous le sapin! » s'amuse-t-elle.

Cette semaine, une résidante de L'Assomption a plutôt remplacé la traditionnelle liste de cadeaux au père Noël par la liste des 13 caractéristiques qu'elle souhaite retrouver chez un homme, en se disant «profondément malheureuse» de ne pas avoir encore fondé de famille à 37 ans.

Protéger ceux qu'on aime

Souvent, ce sont des personnes âgées qui s'adressent au père Noël. Et Mme Ouimet a déjà dû appeler un CLSC, en Beauce, en découvrant que l'auteure d'une missive était totalement démunie et avait manifestement besoin de soins urgents.

Règle générale, dit-elle, les choses sont moins dramatiques. Les vieillards tentent simplement de briser leur solitude. Ou ils se plaisent à retomber en enfance.

«Les personnes âgées vivent beaucoup dans leurs souvenirs. Un monsieur a déjà fondu en larmes comme un enfant en me voyant entrer dans sa résidence. Et les dames me disent tellement que je suis beau, que c'en est presque gênant !» confirme Jean Picard, qui travaille comme père Noël depuis 40 ans et visite chaque année quelques foyers pour personnes âgées.

Face à face, les aînés ne parlent pas de leur solitude et ne demandent rien d'autre que la santé au père Noël, dit-il. «Il suffit de leur apporter une babiole du magasin à 1 $ et, si tu y retournes l'année suivante, tu peux être certain qu'elle sera encore là! Le père Noël ne leur a rien offert depuis 50 ou 60 ans, alors, pour eux, c'est très précieux. Ils veulent y croire: ça leur fait du bien.»

Peu importe leur âge, les adultes qui désirent croire au père Noël écrivent souvent pour leurs proches. «Une dame mourante nous a écrit de France pour demander au père Noël de protéger les gens qu'elle aime», illustre Christiane Ouimet.

Cette année, une toute jeune adulte vivant encore avec sa mère sans le sou veut s'assurer que cette dernière aura néanmoins un cadeau. «De cette façon, elle ne pleurera pas et nous serons heureuses», écrit-elle.

Parfois, même les enfants ne dressent aucune liste de jouets. Comme les grands, ils font des demandes de grands. Guérir leur mère atteinte du cancer. Réconcilier leurs parents divorcés. Saluer leur papa monté au ciel...

Cette semaine, Christiane Ouimet en a reçu une nouvelle : «Petit papa Noël, ma maman a perdu son travail. J'aimerais que tu l'engages à ton usine de jouets et je pourrais vivre avec toi et ma maman.»