Le 31 octobre dernier, des résidantes du quartier Rosemont, à Montréal, ont manifesté devant le centre de santé et de services sociaux afin de réclamer la création d'une maison de naissance. Tout comme dans la plupart des régions du Québec, il est très difficile d'obtenir un suivi de sages-femmes dans la métropole.

Dans sa politique de périnatalité 2008-2018, le gouvernement avait annoncé son intention d'étendre la pratique des sages-femmes pour améliorer l'accessibilité des services de première ligne. «Il faut, dit le document, développer les services des sages-femmes et viser à les rendre accessibles aux femmes qui en font la demande. Éventuellement, les services des sages-femmes devront être offerts dans toutes les régions du Québec.»

La présidente de l'Ordre des sages-femmes du Québec, Dominique Porret, explique que le développement de la pratique se fait au contraire au compte-gouttes dans la province. «Le contexte est difficile. On ne voit pas beaucoup de mouvement du côté du ministère de la Santé (MSSS), note Mme Porret. Les maisons de naissance promises n'arrivent pas.»

En 2008, le gouvernement libéral avait promis que la province compterait 21 maisons de naissance en 2014. Or, actuellement, il n'y en a que neuf. Dans la grande région de Montréal, on trouve une maison de naissance dans l'Ouest-de-l'Île, une dans le quartier Côte-des-Neiges et une à Blainville. Il y a bien des sages-femmes dans le territoire du centre-ville, mais il n'y a pas de maison de naissance.

Moins cher

«Les sages-femmes sortent de l'université et ont de la difficulté à trouver des contrats de travail. Elles manquent de lieux de pratique, explique Mme Porret. Certains projets démarrent, comme à Sept-Îles et à Saguenay. Mais on devait avoir des maisons en Montérégie et à Saint-Hyacinthe. Il n'y a toujours rien.»

Mme Porret ne comprend pas pourquoi le gouvernement est si lent à ouvrir des maisons de naissance afin d'encourager la pratique des sages-femmes. «Les femmes réclament nos services, mais elles ont de la difficulté à y avoir accès», note-t-elle.

Fabienne Gagné, qui travaille à la maison de naissance de Pointe-Claire, est d'accord: «On fait environ 2% des suivis de grossesse au Québec. Mais on devrait faire plus, la demande est là.» À la maison de naissance de Pointe-Claire, les listes d'attente sont longues: environ une femme sur quatre qui en fait la demande obtient un suivi de sage-femme.

Alors que les femmes enceintes ont de plus en plus de mal à trouver un médecin pour suivre leur grossesse, Mme Porret croit qu'il est urgent de favoriser la pratique des sages-femmes: «On pourrait faire plus d'accouchements, mais on manque de lieux de pratique. On fait beaucoup de sensibilisation, mais on n'a pas de réponse du gouvernement. Il y a eu 80 millions pour la procréation assistée. C'est bien. Mais nous?»

Mme Gagné ajoute que les sages-femmes coûtent bien moins cher que les médecins: «Il est difficile d'avoir des chiffres exacts, mais on estime qu'un accouchement sans complication à l'hôpital coûte 6600$. Avec nous, on parle de 3400$.»

Le taux de césariennes, à la maison de naissance de Pointe-Claire, est d'environ 7%. «C'est bien moins qu'à l'hôpital!» dit-elle. En effet, une compilation de La Presse montre que dans la grande région de Montréal, le taux de césarienne moyen avoisine les 23%.

Une pratique sûre?

La pratique des sages-femmes est légalisée depuis 1995 au Québec. Chaque année, des centaines de femmes ont recours aux services des 130 sages-femmes que compte la province. Mais aucune statistique sur ces naissances n'est colligée.

«On n'a pas les moyens de tenir ce genre de registre. On demande au gouvernement de le faire depuis longtemps, mais on n'a pas de réponse à ce sujet», déplore Mme Porret.

Les sages-femmes ne peuvent prendre en charge que les «cas simples». «On ne prend pas les cas de jumeaux ni de présentation par le siège, non plus que les femmes atteintes d'hypertension ou de diabète», illustre Mme Porret.

Il y a quelques années, Régis Blais, professeur au département d'administration de la santé de l'Université de Montréal, avait mené une étude sur la pratique de sage-femme au Québec. Ses études avaient démontré que les accouchements par sage-femme n'étaient pas plus coûteux ni dangereux qu'à l'hôpital. Il avait aussi conclu que les mères étaient satisfaites des services reçus. Il soulevait toutefois la possibilité que le taux de mortinatalité soit plus élevé. Après l'étude de M. Blais, le ministère de la Santé a créé un comité d'experts qui a conclu que c'était bien le cas. «Mais c'était lié à d'autres facteurs que la pratique de sage-femme. Le comité a recommandé que les sages-femmes soient formées pour reconnaître les signes de détresse chez les bébés, ce qui a été fait», explique M. Blais.

Désintérêt

Le chercheur souligne que, même s'il n'y a actuellement aucune statistique sur la pratique de sage-femme, tout semble bien se dérouler: «Il ne semble pas y avoir de scandales ou de plaintes dans les maisons de naissance. Ç'a l'air de bien aller.»

Selon lui, le fait qu'il n'y ait pas plus de maisons de naissance est simplement dû au désintérêt du gouvernement. «On n'a pas le goût d'en avoir plus. Cette profession est peu reconnue. Les médecins eux-mêmes n'en font pas la promotion. Ça demeure marginal alors que, dans d'autres pays, c'est la pratique courante. Si un groupe de pression comme celui pour la procréation assistée essayait de faire changer les choses, peut-être que ça fonctionnerait. Au Québec, c'est dans les crises que les décisions sont prises.»

Mme Gagné espère que les familles, à l'image des résidants du quartier Rosemont, commenceront à se mobiliser et à réclamer des maisons de naissance et des sages-femmes. «On sait qu'on coûte moins cher, que la demande est forte, que notre pratique est bonne... Qu'est-ce qu'on attend?» demande-t-elle.