Héma-Québec envisage de mettre sur pied une banque de lait maternel qui permettrait notamment de favoriser la survie des bébés prématurés, dont le nombre ne cesse de croître au Canada.

Bien connu pour ses collectes de sang, l'organisme vient de lancer une étude pour déterminer si la collecte de lait maternel est faisable au Québec. Un comité de spécialistes évaluera les besoins existants ainsi que les coûts, et ira bientôt explorer ce qui se fait ailleurs, puisque les banques de lait maternel se comptent déjà par dizaines en Europe et aux États-Unis.

Au Canada, seule la ville de Vancouver a la sienne, tandis que Toronto est sur le point d'ouvrir la deuxième du pays.

Avec ses techniciens, ses camions, ses frigos et son matériel de pointe, Héma-Québec est déjà bien équipé pour recueillir, entreposer, tester et distribuer le sang partout dans la province. Il fournit aussi des tissus humains aux hôpitaux et gère la banque publique de sang de cordon ombilical. «Compte tenu de ces infrastructures, absorber quelques échantillons de lait ne devrait pas coûter extrêmement cher», évalue le gynéocologue-obstétricien Jacques Lévesque, une des trois personnes à avoir sollicité Héma-Québec avec un tel projet.

«On nous a sondés parce que le lait est un autre produit d'origine humaine et que nous avons mis au point des techniques pour prélever ces produits de la meilleure façon possible, indique de son côté le Dr Marc Germain, vice-président aux affaires médicales d'Héma-Québec. Les risques de transmettre une infection sont moins grands avec le lait, mais ils existent. Donc il y a un risque qu'il faut mitiger et nous avons une longue expérience en la matière.»

Dans les banques de lait nord-américaines, les donneuses répondent généralement à des questionnaires et subissent des tests, puis leur lait est testé à son tour et pasteurisé.

L'intérêt de plusieurs pédiatres, néonatalogistes et spécialistes en allaitement est déjà manifeste au Québec. Mais avant de prendre la décision de se lancer, «il y a beaucoup de gens à consulter, beaucoup de choses à tirer au clair», souligne le Dr Germain.

Comment utiliser le lait maternel? Comment recruter les donneuses? Quelles quantités collecter? Comment procéder? Et surtout, à quel coût? Autant de questions auxquelles Héma-Québec entend trouver réponse d'ici janvier. Si l'organisme se sent alors en mesure d'aller de l'avant, le dernier mot reviendra au ministère de la Santé.

Pour l'instant, c'est la Fondation Héma-Québec qui finance l'étude, laquelle devrait coûter 66 000$.

Protéger des infections

Depuis le début des années 90, le taux de bébés prématurés est passé de 1 sur 15 à 1 sur 12 au Canada. Or, des études sérieuses démontrent que les grands prématurés nourris au lait maternel courent moins de risques de mourir ou d'être victimes de complications. «Il en est question dans tous les congrès de néonatalogie», rapporte le Dr Jacques Lévesque, qui a pris sa retraite il y a trois ans, à Rimouski.

D'après une recherche publiée en décembre dernier dans le Journal of Pediatrics, le lait maternel diminue des deux tiers les risques d'antérocolite nécrosante, très difficile à traiter et souvent fatale pour les prématurés, puisqu'elle détruit leurs muqueuses intestinales.

«Le lait maternel protège aussi les prématurés - et tous les bébés - des infections aux voies respiratoires ou des infections gastro-intestinales», ajoute la Dre Marie-Josée Legault, de la Direction de la santé publique de Montréal.

Au printemps dernier, lors d'un congrès à Boston, la Dre Legault a découvert que trois hôpitaux de Toronto travaillaient déjà à lancer la leur. Comme le Dr Lévesque, elle a sondé Héma-Québec. «Maintenant, on sait qu'on peut traiter le lait humain pour qu'il soit sûr et il garde quand même certaines vertus», expose-t-elle.

Plusieurs mères qui accouchent très prématurément ne sont pas en mesure de produire du lait. À l'inverse, les femmes qui allaitent depuis un certain temps en ont souvent un surplus. «Ces mères tirent leur lait, remplissent leur congélateur et se désolent de devoir en jeter énormément, constate le Dr Lévesque. Les banques de lait recrutent facilement car les femmes sont très généreuses et sensibilisées.»

Certaines banques offrent même du lait aux mères ayant accouché à terme mais qui sont incapables d'allaiter pour des raisons médicales (par exemple, en raison d'un cancer).

Au Québec, l'allaitement pour tous les bébés fait partie des Priorités nationales de santé publique depuis 1997. De nombreuses études démontrent ses bienfaits sur le système immunitaire et sur le développement cérébral. Selon l'Institut de la statistique du Québec, en 2005-2006, 85% des mères québécoises allaitaient au moins les premiers jours, et 47% persistaient jusqu'à ce que leur bébé ait au moins 6 mois.

En 2004, l'Hôpital général juif de Montréal a envisagé la mise sur pied d'une banque de lait. Des pétitions ont par ailleurs circulé sur l'internet. Mais les choses n'étaient pas allées plus loin jusqu'ici.

Malboeuf, Marie-ClaudeLes banques de lait

L'Association des banques de lait maternel de l'Amérique du Nord recense 15 banques du genre aux États-Unis et une à Vancouver. Celle-ci existe depuis au moins une quinzaine d'années. Le site web de l'Association confirme par ailleurs qu'une banque devrait ouvrir bientôt à Toronto.

En Europe, les banques du genre sont nombreuses. À lui seul, le Royaume-Uni en compte une quinzaine. On en trouve aussi dans les pays scandinaves. L'Australie en compte deux.

Dans les années 30, les banques de lait étaient communes en Amérique du Nord. Le Canada en a déjà compté une vingtaine. Les célèbres quintuplées Dionne de l'Ontario ont été nourries grâce à elles.

Jusque dans les années 70, Montréal avait toujours la sienne, indique la Dre Marie-Josée Legault, de la Direction de la santé publique de Montréal. «Mais comme ailleurs, elle a été fermée. Il y avait moins de mamans qui allaitaient à l'époque et on n'avait pas les techniques d'aujourd'hui pour empêcher la transmission possible de maladies comme le VIH et l'hépatite», explique-t-elle.

Au cours des dernières années, des femmes ont commencé à offrir du lait à leurs amies ou même à des étrangères, sur des sites web comme eBay.