Tout a commencé par un bébé de 19 jours, plein d'ecchymoses et de fractures. Le docteur Jean Labbé, de Québec, s'est penché sur l'enfant, et n'a pas cru à la thèse de l'accident. Un complément d'enquête a été demandé par le coroner. La mère a craqué, puis avoué qu'elle avait projeté son enfant au sol.

Cette histoire, survenue en 1995, a incité le Dr Labbé à réviser les dossiers de 29 enfants québécois morts en 1985 et 1994. Sa conclusion, à ce moment-là: il y aurait deux fois plus d'infanticides qu'on ne le croit, ce qui est aussi l'intuition du Dr Geoffrey Cundiff, à Vancouver.

Depuis, au Québec, beaucoup a été fait, et le Dr Labbé espère qu'on n'en est plus là. On a notamment mis en place un comité qui, dorénavant, révise systématiquement tout décès d'enfant de moins de 6 ans. «Ce qui est dommage, c'est que sa portée soit limitée à Québec. De tels comités devraient plutôt exister aux quatre coins de la province», regrette-t-il.

Grâce aux travaux de ce comité de Québec, jusqu'ici, trois cas d'infanticide camouflés en mort subite du nourrisson ont été mis au jour.

Bernard Poulin, psychologue rattaché à l'Institut Philippe-Pinel, s'est spécialisé dans l'étude des infanticides et il n'hésite pas à saluer l'initiative de l'hôpital de Vancouver.

Bien sûr, dit-il, il ne sera peut-être pas facile de rejoindre les clientèles visées au début, mais de bouche à oreille, ça finira par se savoir un peu partout. (En ce sens, d'ailleurs, l'hôpital Saint-Paul a distribué des affiches dans des endroits stratégiques fréquentés par les femmes vulnérables.)

Pour ce qui est de l'argument voulant que ce «berceau des anges» prive les enfants de leurs antécédents médicaux, M. Poulin fait remarquer « que l'important, c'est tout de même que ces bébés soient trouvés vivants».

«Avec 30 000 avortements par année au Québec, les grossesses non désirées sont plus rares, fait pour sa part remarquer le Dr Labbé. Mais il est clair que si l'on arrivait à ne prévenir qu'un ou deux infanticides par année en instaurant un service semblable à celui de Vancouver dans un hôpital du Québec (dans une zone plus à risque d'un centre-ville, par exemple), ce serait significatif.»

Pédiatre à l'hôpital Sainte-Justine, la Dre Anne-Claude Bernard-Bonnin est aussi présidente de l'Association des médecins en protection de l'enfance du Québec. C'est cependant en son nom personnel qu'elle nous indique ici que ce dépose-couffin, à Vancouver, lui apparaît à elle aussi comme une très bonne idée, même si l'enfant est coupé d'informations médicales. De toute manière, relève-t-elle, «pour la majorité des enfants adoptés à l'étranger, on sait déjà bien peu de chose, et souvent presque rien de la façon dont la grossesse s'est passée».

Si ce genre d'endroits - couvent, orphelinat ou autre - où abandonner son bébé n'existe plus au Québec, il demeure très répandu dans d'autres pays, note-t-elle par ailleurs.

C'est bien à tort, poursuit la Dre Bernard-Bonnin, que l'on considère qu'une mère qui fait un tel geste commet un acte d'abandon. «Au contraire, ça prend beaucoup d'amour pour décider de se séparer de son bébé quand on pense qu'il recevra ainsi davantage que ce qu'on peut lui offrir.»

«Il faut aussi nous rappeler que nous, Québécois, sommes pour la plupart des descendants de colons et de filles du Roy. Il y a donc, parmi nos ancêtres, pas mal de femmes qui, un jour, ont été trouvées sur un parvis d'église.»