Christian Paire est directeur général du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) depuis neuf mois. Jusqu'à maintenant, il ne s'est exprimé publiquement que pour parler de son désir d'amener différentes formes d'art dans les murs de l'établissement. Il accepte aujourd'hui, pour la première fois, de discuter de sa vision du futur CHUM.

Q Certains ont pensé que vous fuyiez les médias. Vous n'avez en tout cas pas parlé de votre vision du CHUM jusqu'à aujourd'hui. Pourquoi?

R Je trouvais que, avant d'en parler, il fallait savoir ce que les gens ressentent à l'interne. J'ai donc consacré mes premiers mois à rencontrer l'ensemble du personnel de l'hôpital, ce qui fait que j'ai eu environ 4000 rencontres. J'ai appris beaucoup de choses: d'abord, les gens, qu'ils soient médecins, infirmières, sont très fiers de ce qu'ils font. Ce qui m'a frappé, c'est le décalage qu'il peut y avoir entre cette fierté et l'image du projet de construction qui a été bloqué.

Deuxièmement, contrairement à ce qu'on pense, il s'est passé des choses depuis 10 ans. Il y a eu des regroupements de services, comme en cardiologie. Le CHUM, c'est un iceberg; il a une face cachée.

Q Il reste que, concrètement, plusieurs patients attendent une opération. Il y a aussi l'attente aux urgences. La semaine dernière, vous avez annoncé la mise sur pied d'un plan de soins. Quelles sont vos actions à court terme?

R Ma priorité, c'est le fonctionnement de nos hôpitaux. Les listes d'attente en chirurgie passent par une meilleure organisation de nos blocs opératoires et de nos chirurgiens. Mais il y a des facteurs qui limitent, comme les lits de soins intermédiaires pour accompagner les patients après l'opération. Nous sommes en train d'augmenter cette capacité. Il faut aussi des mesures pour attirer des infirmières puisqu'il ne suffit pas d'avoir des lits: il faut des gens pour s'en occuper. Quant aux urgences, je sais qu'il s'agit de l'un des plus grands sujets d'insatisfaction. On prend des mesures concrètes. On veut une meilleure articulation entre les spécialistes et les malades parce que les patients attendent souvent à cause de la non-disponibilité des spécialistes.

Q Actuellement, les hôpitaux s'arrachent les infirmières. Qu'est-ce que vous comptez faire pour les attirer au CHUM?

R Le problème n'est pas de trouver des infirmières, mais de les garder à Montréal, dans un endroit où on ne circule pas facilement et où les logements coûtent cher. J'ai des projets. À Paris, on a proposé pour un laps de temps à de jeunes infirmières de les loger à des tarifs plus faibles que le prix du marché. J'ai déjà eu des discussions en ce sens avec des partenaires. Il faut aussi trouver des services de garde avec des plages horaires plus grandes. Je me dis que, si c'est possible en France, ça pourrait l'être ici.

Q Quand on parle du réseau de la santé au Québec, l'image qui vient à l'esprit de plusieurs est souvent celle d'un éléphant. Avez-vous l'impression de pouvoir faire bouger les choses?

R Les plus gros animaux sont les plus lents au démarrage. Mais une fois qu'ils ont démarré, ils sont plus difficiles à arrêter. Nous sommes en marche, avec notre centre de recherche et notre plan stratégique. Et ce n'est pas un énième projet. Ce ne sera pas un pieux document. C'est un travail sur un an, qui sera terminé à l'automne 2011, qui va nous amener jusqu'en 2015. On ne va pas tout réinventer, mais on va tout mettre en perspective. On va se demander, par exemple, si on travaille la génétique seul ou avec Sainte-Justine. Même chose pour la cardiologie et la gériatrie. Pour les urgences, il faut travailler avec le CSSS Jeanne-Mance. Il s'agit donc d'établir des partenariats. Tout ça pour le bien-être du patient, qui veut un éventail de soins, de services. Mais, comme on dit, «aide-toi et le ciel t'aidera». Donc, on commence de l'intérieur.

Q Il y a aussi la question du financement. On parle actuellement d'un déficit de 11,2 millions.

R Le plus important, c'est notre budget de fonctionnement. Il y a eu beaucoup de débats autour de la construction, mais il faut comprendre que le coût de construction d'un hôpital, partout dans le monde, ce n'est jamais plus de trois ans de son fonctionnement. Notre budget est de 600 à 700 millions. C'est une grosse somme, mais de l'argent bien utilisé. Ce qui est clair, c'est qu'un nouvel hôpital coûte moins cher qu'un vieux. Partant de là, je pense qu'il y aura davantage d'argent à aller chercher au fédéral une fois qu'on aura bien fait connaître notre plan de recherche. Il y a aussi notre action en matière de santé publique. Je sors d'une réunion avec le conseil d'administration du Quartier de la santé. On a prévu un plan de cinq ans, un projet entre 20 000 et 40 000 m2 pour un pavillon de la santé qui va accueillir des petites en moyennes entreprises.

Q Il vous faut donc une mobilisation extérieure. La Fondation du CHUM a peine à amasser des fonds, à recruter un président. Est-ce que vous avez un plan pour remédier à la situation?

R D'abord, j'ai rencontré au moins 200 dirigeants des plus grandes entreprises du Québec depuis neuf mois. Il y en a qui seraient d'ailleurs surpris de savoir qui j'ai rencontré. Le CHUM est en train de se bâtir une image, y compris dans le milieu des affaires. Il y a encore des gens qui préfèrent ne pas le dire publiquement, mais qui nous soutiennent. Je les comprends, parce qu'il y a eu toute une histoire, mais je peux vous assurer que ces gens-là sont nos alliés.

Pour que ce soit durable, il faut que le CHUM devienne l'affaire du personnel aussi. À la fin de l'année, je vais organiser un grand forum pour tout mon personnel. Et là, je veux que chacun apporte sa pierre.

Q Bref, il ne faut pas dépendre seulement de l'État, selon vous?

R Mais il ne faut pas penser que je ne vais pas me tourner vers le réseau. Ce que je vais lui demander, c'est de mieux tenir compte de notre volume d'activités, de la nature des cas, de plus en plus lourds. Aujourd'hui, on reconduit les budgets chaque année sur la base de leur progression historique. Mais ça ne correspond pas du tout à la réalité des établissements de santé au Québec. Je vais plaider ça. 

Q Avec tous vos projets, M. Paire, vous resterez donc avec nous, au Québec, durant plusieurs années?

R (Éclat de rire) J'ai un contrat de quatre ans, renouvelable. J'ai devant moi un chantier pour me tenir occupé durant une bonne dizaine d'années, mais c'est un projet pour faire un hôpital pour 100 ans. Alors, ça vaut le coup d'y passer de 5 à 10 ans; c'est pour tous les Québécois et Montréalais, pour nos enfants!