Le Collège des médecins s'est retrouvé au banc des accusés, hier. Deux de ses membres lui font un procès. Selon eux, le Collège ferme les yeux sur une pratique douteuse. Des pharmacies offrent à des dizaines de médecins des locaux gratuits ou presque au-dessus ou à côté de leur commerce, dans l'espoir évident de vendre des médicaments à leurs patients.

Le procès se déroulera pendant six semaines au palais de justice de Montréal. C'est l'une des premières fois que des professionnels traînent leur ordre devant le tribunal et l'accusent de ne pas faire respecter les clauses interdisant les conflits d'intérêts.

Le Dr Adrien Dandavino, ancien syndic adjoint, a été le premier à témoigner hier. Le témoignage le plus attendu est celui du président du Collège, le Dr Yves Lamontagne, qui doit se présenter devant la Cour supérieure aujourd'hui.

Les Drs Daniel Poulin et Robert Perron poursuivent le Collège des médecins pour 3,5 millions de dollars. Ils ont ouvert des cliniques médicales à grands frais, mais ils ont été incapables de garder des médecins parce qu'ils leur demandaient de partager le loyer et les frais de bureau. Les médecins préféraient travailler dans des cabinets où les loyers étaient payés, en tout ou en partie, par des pharmacies.

Le Dr Poulin a ouvert la Clinique médicale Monchamp à Saint-Constant en 1982. En 2001, il demandait un loyer de 24$ le pied carré. À cette époque, le Groupe Jean Coutu (PJC) lui a fait part de son projet de construire un édifice, aussi à Saint-Constant, comprenant une pharmacie et une clinique médicale. Le loyer serait de 10$ le pied carré et comprenait tous les frais - chauffage, électricité, taxes, etc. PJC lui offrait aussi une somme de 500 000$ comme «allocation incitative».

Le Dr Poulin a refusé l'offre, mais plusieurs médecins qui travaillaient à sa clinique ont accepté d'aller travailler au-dessus de la nouvelle pharmacie PJC. Par la suite, le Dr Poulin a eu beaucoup de difficulté à recruter les médecins. Son collègue, le Dr Perron, a connu une expérience similaire. Ils soutiennent que, par son inaction, le Collège des médecins est responsable de leurs déboires financiers.

Ils ont porté plainte au Collège, mais, selon leur requête, il n'y a jamais eu de suites. Pourtant, dans une résolution adoptée en 2003, le comité administratif du Collège avait recommandé que «le Collège suive de très près l'épineuse question de la location de bureaux à des médecins par des pharmaciens». Les Drs Poulin et Perron soulignent que le code de déontologie interdit aux médecins de recevoir des ristournes.

Ils affirment qu'il y a un impact pour les patients. Par exemple, le Groupe Jean Coutu exige souvent que les cliniques médicales fonctionnent sans rendez-vous, et il impose des heures d'ouverture sous peine de pénalités financières importantes. En d'autres mots, ce sont les pharmaciens qui dictent l'organisation de la pratique médicale, affirment-ils dans leur requête.

Le Collège rejette cette argumentation. Selon lui, il n'y a pas de preuve que les loyers gratuits ou au rabais ont une influence sur la pratique médicale. Dans sa défense, il indique: «Le Collège a pris la position qu'aucun bail ou contrat liant un médecin à un pharmacien ou promoteur immobilier ne devrait contenir de clauses prévoyant des volumes de prescriptions, des ristournes, de l'ingérence dans la pratique professionnelle, du dirigisme ou toute autre forme d'atteinte à l'indépendance professionnelle. La mission du Collège est de protéger le public et non de défendre les intérêts financiers des médecins propriétaires de cliniques et d'immeubles à revenus.»