L'une des agences privées de soins infirmiers les plus actives dans les hôpitaux de la province intente une poursuite contre l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ).

L'Agence Girafe Santé réclame près de 500 000 $ pour atteinte à sa libre expression et pour couvrir des prétendues pertes de revenus liées à la publicité permise dans la revue Perspective infirmière, de l'ordre professionnel, a appris La Presse.

En plus de réclamer la somme de 400 764,63 $, Girafe Santé demande à la Cour supérieure de casser la politique de l'Ordre qui encadre la publicité émanant des agences privées dans sa revue distribuée aux 70 000 membres. Cette politique, entrée en vigueur en avril 2009 afin de lever «toute ambiguïté quant à sa position en faveur du réseau public de soins de santé», a été précisée en juin 2009 afin de clairement bannir de ses pages le recrutement privé «pour travailler» au Québec. Elle vise aussi les cliniques privées.

C'est toutefois une publicité d'une agence concurrente, le Regroupement des infirmières et infirmiers en pratique autonome du Québec (RIIPAQ), publiée presque en même temps que la révision de la politique, en mai-juin 2009, qui a incité Girafe Santé à intenter sa poursuite. Selon l'agence, il est clair que l'OIIQ a choisi le RIIPAQ, et «paraît» ainsi vouloir diriger ses lecteurs, en l'occurrence ses infirmières et infirmiers, vers cette agence.

Pour sa part, l'ordre professionnel allègue, dans sa défense amendée à deux reprises depuis la poursuite initiale, que la date de tombée de la réservation des espaces publicitaires était fixée au 1er avril, soit neuf jours avant l'entrée en vigueur de la première version de la politique. On précise ensuite que la rédactrice en chef de la revue Perspective infirmière, Lyse Savard, a cru «de bonne foi» que le RIIPAQ annonçait un mouvement associatif et non du recrutement.

Annonces retirées

À la suite de la bévue, le RIIPAQ a été avisé que trois autres annonces prévues dans la revue, publiées six fois par année, ne seraient pas éditées.

L'Ordre admet son erreur. Quant à l'atteinte présumée à la liberté d'expression, l'OIIQ estime que Girafe Santé peut faire de la publicité autrement, notamment sur son site internet, et précise que sa politique s'applique à toutes les agences recrutant pour le Québec, et qu'en conséquence, elle n'est nullement discriminatoire.

Selon les calculs de l'Agence Girafe Santé, détaillés dans sa poursuite, chaque publicité dans la revue professionnelle lui permet de recruter 17 infirmières, à un taux horaire moyen de facturation de 66,36 $. Pour une durée moyenne de 49 semaines à temps plein, soit 36,25 heures par semaine. De cette façon, on réclame près de 500 000 $.

Par ailleurs, Girafe Santé déplore le fait que la politique de l'Ordre, dans sa finalité, permet toujours aux agences privées étrangères et canadiennes de publier des publicités. C'est notamment le cas de l'agence Urgence médicale Code bleu, division européenne, dont les publicités ont paru dans le dernier numéro de Perspective infirmière. Med-Hop et Euro-Care sont aussi des clients de la revue de l'OIIQ.

Le directeur général de Girafe Santé, Stéphane Prévost, n'a pas donné suite à une demande d'entrevue de La Presse. Du côté de l'Ordre des infirmières du Québec, l'avocate France Lessard a expliqué qu'étant donné les interrogatoires présentement en cours, ses commentaires doivent se limiter au libellé de la défense. À moins d'un règlement à l'amiable, cette poursuite, avec en toile de fond la Charte des droits et libertés, devrait déboucher sur un procès.

Les publicités de recrutement privé au Québec avaient généré 200 000 $ de revenus en 2007 et près de 275 000 $ en 2008. À la suite d'un sondage, l'OIIQ a maintenu la parution d'offres d'emplois sur son site web, dont celles d'agences privées.