Québec refuse de financer le deuxième volet d'une étude scientifique qui vise à trouver un traitement pour les toxicomanes qui ne répondent pas aux programmes conventionnels de sevrage, notamment par l'injection supervisée d'héroïne fabriquée en laboratoire. Une décision qui a surpris l'équipe de chercheurs puisque les résultats de la première expérience avaient été concluants et soulignés dans la communauté scientifique internationale.

«Dans le domaine des services sociaux, que ce soient les toxicomanes, les personnes âgées ou les personnes handicapées, ou les jeunes en difficulté, les besoins sont toujours plus grands que les moyens à notre disposition», a expliqué l'attaché de presse de la ministre des Services sociaux, Lise Thériault, Harold Fortin.

«La ministre ne remet pas en question la validité scientifique de l'étude qui a été faite, elle a même rencontré le groupe de chercheurs, c'est juste qu'à un moment, il faut faire des choix basés sur le type de projet et la population que l'on peut rejoindre.»

La recherche baptisée NAOMI (pour North American Opiate Medication Initiative) a été lancée en 2005 par des chercheurs de Montréal et de Vancouver. Elle a été partiellement financée par le ministère de la Santé et des services sociaux.

Les scientifiques ont suivi 251 toxicomanes, dont 59 à Montréal. Environ la moitié des participants ont reçu de la méthadone, la substance actuellement prescrite au Canada pour surmonter une dépendance à l'héroïne. Un deuxième groupe a obtenu de l'héroïne pharmaceutique. Pour des fins de validation scientifique, un petit groupe a reçu du Dilaudid, un analgésique utilisé dans les hôpitaux.

Au terme de leur analyse, les chercheurs ont réalisé que neuf toxicomanes sur dix qui avaient reçu de l'héroïne avaient suivi le programme jusqu'au bout. Ces participants avaient, en moyenne, échoué à sept tentatives de traitement. Ils ont également découvert que les participants avaient considérablement réduit leur consommation de drogues illicites et leurs activités criminelles en plus d'améliorer leur état de santé.

«C'est sûr que la première ligne de traitement, celle dans laquelle il faut mettre beaucoup d'efforts, demeure la méthadone», a expliqué la responsable du volet montréalais du projet et chef de médecine des toxicomanies au CHUM, Suzanne Brissette. «Cela dit, pour la population qui ne réagit pas à ce type de traitement, c'est les abandonner à leur sort.»

«Nous avons un traitement qui marche, donc c'est frustrant», a-t-elle ajouté.

Deuxième volet abandonné

Lors de l'étude, les chercheurs ont également découvert que les patients qui ont reçu du Dilaudid ont eu des réactions similaires aux personnes qui suivent le programme d'héroïne pharmaceutique. C'est ce qui les a incités à élaborer une suite au projet baptisé SALOME.

Les chercheurs ont obtenu une subvention d'environ 1 million de dollars de l'Institut de recherche en santé du Canada. Cette enveloppe était toutefois conditionnelle à ce que le gouvernement du Québec finance les coûts d'opération de la clinique, évalués à 600 000$ par année.

Alors que le gouvernement de la Colombie-Britannique s'est montré ouvert à poursuivre le projet, le ministère de la Santé et des services sociaux refuse de délier les cordons de sa bourse. Pour le moment, il semble également avoir fermé la porte à la mise sur pied de centres d'injection supervisés permanents, comme le proposaient les chercheurs du projet NAOMI.

Selon deux études canadiennes, un héroïnomane non traité peut coûter plus de 45 000$ annuellement à l'État. Un traitement à l'héroïne coûte environ 18 000$ par année tandis qu'un programme de méthadone en coûte 6000$.

«Plus le problème est sévère, plus ils vont avoir recours au système de santé ou à des activités illicites. Ils peuvent également coûter très cher au système judiciaire et carcéral, explique Suzanne Brissette. Donc tant pour la personne que pour la communauté, il y a un intérêt de trouver des formes de traitement.»

Avec Andrew Chung du Toronto Star