Kathy Gagné passe doucement la main sur son ventre, consciente qu'elle a failli perdre son bébé. Elle s'est endormie au volant en se rendant à Matane pour son suivi de grossesse et a percuté deux voitures.

«Je n'ai pas senti la fatigue. Je me suis réveillée et j'étais dans la voie inverse», raconte-t-elle.

Elle s'est retrouvée couverte d'ecchymoses, le ventre complètement noir. Des examens ont démontré que tout semble bien aller pour son bébé. « Je vais vraiment être rassurée quand je vais le voir «, reconnaît toutefois la femme de 34 ans.

 

Ses inquiétudes ne sont d'ailleurs pas terminées. L'accouchement est prévu le 22 décembre. En Gaspésie, les tempêtes de neige sont fréquentes à cette période de l'année.

Il n'y a qu'une route pour se rendre à Matane : la 132. Elle n'a rien d'une autoroute. Le vent du large balaie constamment la neige, qui forme des lames sur la chaussée. La route est régulièrement fermée en raison des conditions météorologiques trop difficiles.

«Si je vais accoucher à Matane dans la tempête, je ne suis pas sûre que mon chum soit équipé pour m'accoucher dans l'auto», lance Mme Gagné, une pointe d'inquiétude dans la voix.

Comme plusieurs, elle se sent abandonnée. Comme si la Gaspésie ne pouvait avoir accès aux mêmes services que les autres régions.

«Ici, on se bat constamment pour avoir des services dans nos hôpitaux, on se bat pour nos écoles, on se bat pour avoir un travail», ajoute Mme Gagné.

Éducatrice spécialisée, elle est à même de constater la détresse dans laquelle vivent certaines familles. Elle se compte chanceuse mais sait que ce n'est pas le cas de tous. «On a un travail, mais la réalité n'est pas la même pour tous. Il y a beaucoup de gens qui sont défavorisés ici, qui n'ont pas les ressources pour se battre.»

À quelques rues de là, la petite Elsa, 9 mois, s'amuse avec ses jouets dans le salon, sous le regard de ses parents. Pour eux, il est clair que la venue d'un deuxième enfant sera planifiée. Pas question pour Stéphanie Lickfold d'accoucher en plein hiver.

«Sauf que planifier sa grossesse à cause des conditions météo, je trouve ça plate», déplore Mme Lickfold, qui a parcouru 2000 km pour son suivi de grossesse.

Elle se considère tout de même comme privilégiée. Elle n'a eu aucune complication et elle a évité le pire en accouchant en novembre.

«Je ne voudrais pas vivre la même situation que ma belle-soeur, qui a accouché au mois de janvier. Ils se sont rendus à l'hôpital de Matane de justesse. Quelques heures plus tard, la 132 était fermée», relate Mme Lickfold.

Contrairement aux femmes qui sont enceintes actuellement, la maman d'Elsa a aussi bénéficié de l'expertise des infirmières de Sainte-Anne-des-Monts, un service qui a depuis été aboli, déplore-t-elle.

«J'avais des contractions, mais comme c'était mon premier bébé, je n'étais pas trop certaine. L'infirmière m'a confirmé que c'était le vrai travail, mais elle m'a suggéré d'attendre encore avant de me rendre à l'hôpital. Elle m'a beaucoup aidée.»

Même en sachant qu'elle avait encore du temps pour se rendre à Matane, Mme Lickfold a tout de même fait le trajet en comptant ses contractions avec anxiété.

D'ailleurs, la distance est omniprésente dans les pensées des jeunes couples. «Je travaillais à Murdochville, à une heure et demie de route, à cette époque, dit Pierre Pelletier, le conjoint de Mme Lickfold. Tout ce que j'espérais, c'est qu'ils m'appellent assez vite pour qu'on ait ensuite le temps de se rendre à Matane.»

Le couple a l'impression que le gouvernement, l'Agence de santé et l'hôpital ont baissé les bras.

«Je comprends que c'est dur de trouver des médecins, mais ce que je reproche, c'est le manque de volonté pour essayer d'en trouver», lance Mme Lickfold.

Aujourd'hui, Elsa a 9 mois. Elle fait ses premiers pas en s'agrippant aux meubles. Ses parents continuent de se déplacer à Matane : il n'y a pas de médecins pour faire le suivi des bambins en Haute-Gaspésie. C'est aussi un problème.