«J'élève mes filles en accéléré. Je voudrais tellement qu'elles puissent se débrouiller si je meurs.»

Des larmes glissent sur la joue de Manon avant de tomber sur la table de la cuisine. Elle éponge vivement son visage avec un mouchoir chiffonné.

La réalité la rattrape. Sa mère est morte dans son sommeil à l'âge de 52 ans. Comme Manon, elle souffrait d'obésité morbide.

 

«J'ai 45 ans. Je le connais, le processus. Je commence à avoir les mêmes bobos qu'elle», dit Manon.

Elle pose son regard sur les deux cadres accrochés au mur du salon. Deux jeunes filles de 10 et 13 ans sont tout sourire pour leur photo d'école.

«Je les prépare du mieux que je le peux. Si je meurs, je ne veux pas qu'elles soient traumatisées», poursuit-elle.

Depuis trois ans, Manon attend de subir une opération bariatrique à la Cité de la santé de Laval. Trois longues années à voir sa qualité de vie s'effriter. Et à sentir le regard des autres constamment posé sur son corps trop gros.

Elle s'accroche à son opération future comme à une bouée de sauvetage. «Je base tellement le reste de ma vie sur cette opération.»

Pendant que les semaines, les mois et les années passent, sa santé file lentement. Conséquence de l'obésité, Manon souffre d'asthme, d'hypertension et de diabète depuis quelques années. Elle se pique chaque jour à l'insuline.

Quand elle est debout trop longtemps, le poids de la graisse accumulée sur son ventre pèse sur ses reins. «Je me sens continuellement comme une femme qui va accoucher dans quatre ou cinq jours et qui n'en peut plus.»

Les activités quotidiennes représentent une montagne pour elle. Elle a de la difficulté à marcher. «J'aimerais tellement aller attendre ma fille à la sortie des classes, comme les autres parents le font. L'école est au coin de la rue, mais je ne suis pas capable de m'y rendre. Le mieux que je peux faire est de m'asseoir dans les escaliers de l'appartement en attendant ma fille.»

Faire l'épicerie est une corvée. D'ailleurs, impossible de se glisser entre les tourniquets. Quand elle est vraiment obligée de faire les emplettes elle-même, Manon ravale son orgueil et se glisse sous la barrière de métal, là où l'on passe généralement le panier.

Le jugement d'autrui

Il y a aussi le regard des autres. Ceux qui jettent un coup d'oeil à peine discret pour évaluer les aliments qu'elle achète. Ceux qui la dévisagent à la caisse parce qu'elle achète un paquet de gomme, se demandant si elle ne prendra pas aussi une barre de chocolat.

Que dire des banquettes au restaurant, où elle est incapable de se glisser? Ou des ceintures de sécurité dans les voitures, pas assez longues pour être bouclées?

Elle se sent constamment jugée. «Il n'y a pas de place pour nous. La société n'est pas faite pour nous», affirme Manon.

Faute de pouvoir sortir, elle se connecte à la réalité en naviguant sur l'internet. Que ce soit pour trouver une adresse ou un réparateur, elle est devenue la personne-ressource de ses proches grâce à ses recherches sur le web.

Comme plusieurs personnes qui souffrent d'obésité morbide, Manon a toujours eu un surplus de poids. À l'école, les enfants la surnommaient Badaboum. Ils riaient d'elle parce qu'elle arrivait essoufflée en haut des escaliers. «Je longeais les murs en espérant passer inaperçue», se rappelle-t-elle.

Avec les années et deux grossesses, son problème a empiré. Aujourd'hui, les régimes amaigrissants ne peuvent rien changer. Et que dire du vélo stationnaire installé dans un coin du salon? Manon le regarde en espérant qu'un jour, elle pourra s'y installer et donner quelques coups de pédales.

Pour l'instant, elle attend son tour. «Si je me fais opérer, je vais reprendre la maîtrise de ma vie», souffle-t-elle en espérant qu'il ne soit pas trop tard.