Les employés de Maple Leaf savaient qu'une de leurs usines était contaminée aux listeria, mais l'information ne s'est pas rendue jusqu'aux personnes qui auraient pu intervenir. L'Agence canadienne d'inspection des aliments n'a pas demandé les résultats des tests faits à l'usine touchée.

La gestion de l'éclosion de listériose aux charcuteries de Maple Leaf, en 2008, comporte d'inquiétantes lacunes. Les consommateurs du pays ne sont donc pas à l'abri d'une nouvelle épidémie, à moins que la gestion de la salubrité alimentaire ne soit améliorée «sans délai». La crise a fait 22 victimes.

Les conclusions de l'enquêteuse indépendante dans cette affaire, Sheila Weatherill, ont été dévoilées mardi. Son rapport contient 57 recommandations. «Ce rapport est dur, mais il devait l'être», a immédiatement commenté Michael McCain, président des Aliments Maple Leaf, qui assure que son entreprise a déjà revu ses pratiques.

L'enquêteuse n'a pas fait de grandes révélations. Mais présentées noir sur blanc, les failles des uns et des autres dans la prévention et la gestion de la listériose sont inquiétantes.

D'abord chez Maple Leaf. La compagnie n'a pas fait les analyses exigées par sa propre politique de lutte contre la bactérie. Il y a aussi eu d'alarmants manques dans la circulation de l'information au sein de l'entreprise. Une partie de la direction savait qu'il y avait un problème de contamination, mais croyait que l'usine avait la situation bien en main. Durant ce temps, Maple Leaf continuait de produire des charcuteries destinées à des résidences pour personnes âgées. Parmi les personnes qui ont contracté la listériose durant cette période, huit sur 10 résidaient dans des établissements où l'on a servi ces produits. La moyenne d'âge des personnes qui en sont mortes est de 76 ans.

L'Agence d'inspection des aliments (ACIA), chargée de s'assurer de la salubrité des produits offerts au pays, devra aussi revoir plusieurs façons de faire. Les inspecteurs qui se trouvaient dans l'usine de Maple Leaf n'avaient pas l'obligation de demander les analyses faites par la compagnie. Le rapport recommande que l'agence fédérale améliore la formation de ses inspecteurs et son système d'inspection des viandes. On recommande aussi de revoir les processus de rappel des aliments.

L'ACIA doit aussi s'assurer que les consommateurs canadiens soient adéquatement informés en cas de contamination. «La population n'a pas reçu les informations dont elle avait besoin concernant l'éclosion», écrit Sheila Weatherill. «La plupart des Canadiens ignoraient quels segments de la population risquaient le plus d'être malades si exposés à la Listeria monocytogenes et quels aliments ces groupes vulnérables devaient éviter», précise l'enquêteuse.

Le ministre de l'Agriculture du Canada, Gerry Ritz, n'a pas tardé à réagir au rapport. Il promet des améliorations, notamment à la façon dont son ministère collabore avec les autres organismes en cas de problème en matière de santé publique.

«Les différents ministères étaient comme un orchestre dont les musiciens n'ont jamais joué ensemble», a concédé Gerry Ritz en conférence de presse. Il a toutefois refusé d'attribuer le blâme à qui que soit malgré les manques précis indiqués dans le rapport.

Le pire est à venir

Sylvain Charlebois, vice-doyen de l'Université de Regina et spécialiste des questions de politique alimentaire, aurait voulu que les recommandations aillent beaucoup plus loin. Il constate que l'on donne des solutions dans l'éventualité d'une nouvelle éclosion de listeria sans s'attaquer à l'architecture des organismes de veille. «On présente des solutions simples à un problème complexe, dit-il. Il faudrait créer un système qui va nous permettre d'anticiper des risques qu'on ne connaît pas encore.» Selon lui, le pire est à venir. «Il va y avoir d'autres crises, dit-il. C'est normal et, malheureusement, il faut en vivre pour améliorer nos processus. Je pense qu'on n'a pas encore vu la plus grande.»

Les maladies d'origine alimentaire constituent maintenant la catégorie la plus importante de maladies infectieuses au pays. Depuis 2005, le nombre de cas de listériose signalés chaque année a doublé.