Les erreurs détectées dans les tests de pathologie liés au cancer du sein ne sont peut-être que la pointe de l'iceberg des problèmes qui surviennent dans les laboratoires médicaux du Québec.

«Ça fait un bout de temps que l'on sait qu'il y a des problèmes dans les laboratoires au Québec. En fait, on court à la catastrophe», prévient la présidente de l'Ordre des technologistes médicaux du Québec, Nathalie Rodrigue.

Dans une lettre envoyée au ministre de la Santé, Yves Bolduc, en février dernier, que La Presse a obtenue, la présidente de l'Ordre souligne que le potentiel d'erreurs est élevé dans les laboratoires. Le manque de personnel qualifié est en cause.

«Nous craignons la déqualification du personnel dans les laboratoires de biologie médicale. (...) L'absence de formation et de connaissance dans le domaine clinique met en jeu la fiabilité des résultats et la sécurité des patients», écrit Mme Rodrigue.

Une pénurie de personnel frappe les technologistes médicaux. Une situation qui ne s'améliorera pas. D'ici 2015, 60% des 4200 technologistes médicaux auront quitté leur travail, la plupart pour la retraite.

La proportion des départs est la même pour les quelque 1000 techniciens de laboratoire. Ces travailleurs possèdent la même formation que les technologistes, mais ne sont pas régis par un ordre professionnel.

La pénurie est telle qu'au cours des derniers mois, certains hôpitaux ont commencé à engager du personnel qui n'est pas formé spécifiquement pour travailler dans les laboratoires.

Le Centre hospitalier de l'Université de Montréal a ainsi affiché une dizaine de postes de techniciens B. Il s'agit souvent de détenteurs d'un baccalauréat, mais qui n'ont aucune formation clinique en laboratoire. Certains n'ont même aucune connaissance du milieu médical. Ils sont formés sur place et sont moins payés que les technologistes médicaux.

Pourtant, plus de 85% des diagnostics posés par les médecins reposent sur les analyses de laboratoire, qu'il s'agisse de prélèvements sanguins, de tests d'urine ou d'analyses de tissus biologiques, rappelle la présidente de l'Ordre des technologistes médicaux du Québec.

En plus de la pénurie de personnel, la charge de travail augmente. Dans les gros laboratoires, un technologiste pouvait analyser 600 prélèvements sanguins par jour il y a quelques années. Aujourd'hui, ce chiffre grimpe à 800 ou 1000, indique Mme Rodrigue.

La façon de pratiquer la médecine a changé. «Le médecin qui voit son patient coche une vingtaine d'analyses, l'envoie faire des prises de sang et lorsqu'il reçoit les résultats, il émet un diagnostic. Cela génère beaucoup d'analyses inutiles.»

La pression augmente pour le personnel. «Les gens sont surmenés. C'est rendu qu'ils font du travail à la chaîne et même les personnes les plus expérimentées font des erreurs», affirme Mme Rodrigue.

Elle presse le ministre d'agir. Il est urgent de mettre en place un plan de rétention pour garder les technologistes au travail, dit-elle.

Il faut aussi mieux encadrer et réglementer la profession, surtout dans le contexte où des gens moins bien formés sont engagés dans les laboratoires.

La validation technique n'est pas une activité réservée. Une partie des gens qui travaillent dans les laboratoires ne sont pas soumis à l'inspection professionnelle et ne possèdent pas d'assurances professionnelles, explique Mme Rodrigue. «S'ils commencent à émettre des résultats sans qu'ils aient l'expertise pour le faire, il se peut qu'ils envoient à des médecins des résultats qui n'ont pas été validés ou sur lesquels il y a des données erronées.»

L'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) est très sensible au problème de pénurie de technologistes médicaux et au phénomène de déqualification. Elle a d'ailleurs dénoncé, l'hiver dernier, le fait que le CHUM embauche des techniciens B.

Inquiète, la présidente de l'APTS n'est toutefois pas en mesure de dire si les risques d'erreurs ont augmenté dans les laboratoires. «Le manque de personnel peut avoir comme impact de retarder les résultats», explique Dominique Verreault. «Les technologistes médicales sont les personnes les mieux formées pour répondre aux demandes dans les laboratoires, peu importe le type d'analyse et le secteur. Elles sont soumises à un ordre professionnel.»

Le ministère de la Santé et des Services sociaux ne considère pas que la profession est en pénurie. Un document produit il y a un an à la direction de la planification et des soins infirmiers conclut qu'il existe un équilibre de la main-d'oeuvre jusqu'en 2012. L'évolution des heures travaillées est également stable depuis quatre ans, si bien que les besoins n'ont pas changé, peut-on lire.

Par contre, le document souligne que d'ici 15 ans, 60% des effectifs actuels auront quitté le travail pour la retraite.