Ce qui frappe en entrant à la résidence du Parc, c'est l'obscurité et la vétusté des lieux. Des tapis usés et sombres couvrent tous les planchers du rez-de-chaussée. Des toiles d'araignée pendent du plafond. Une odeur de cigarette plane dans l'air.

«Les résidants qui le désirent peuvent fumer dans leur chambre», dit la gérante de l'établissement, Jo-Ann Grenier.

Aux étages, on se croirait à l'hôpital. Les chambres sont blanches et désincarnées. Une forte odeur d'urine fait lever le coeur.

Seul le troisième étage est plus accueillant. Il vient tout juste d'être rénové. Les gens souffrant de la maladie d'Alzheimer sont confinés à cet étage. Une dizaine d'entre eux passent leurs journées en pyjama, assis dans le corridor. Ils regardent le temps passer en laissant couler de longues traînées de bave le long de leurs joues. «Ces résidants n'ont pas le droit d'aller manger avec les autres dans la salle à manger en bas. Ils ont leur salle à manger ici à l'étage», dit Mme Grenier.

Il en coûte entre 1900$ et 5000$ par mois pour habiter à la résidence du Parc. Le coût varie en fonction du degré d'autonomie des résidants. Pour cette somme, on assure que des infirmières auxiliaires seront présentes en permanence. «On dit aussi qu'il y a une supervision médicale. Mais aucun médecin ne prend de nouveaux patients ici», confie Mme Grenier.

La rotation du personnel est grande à la résidence du Parc. Pour combler les manques, l'établissement fait souvent appel à du personnel d'agence privée.

Par un beau samedi matin, une résidante vient se plaindre à la réception. «Je n'ai pas mangé. Ma préposée ne m'a pas apporté mon plateau», dit-elle.

On apprend plus tard que la préposée en question, embauchée pour la journée dans une agence privée, ignorait que la résidante prenait son déjeuner dans sa chambre. «Les résidants viennent souvent se plaindre du personnel d'agence. Ces employés ne connaissent pas les résidants et font plus d'erreurs, dit la réceptionniste. Les résidants payent cher pour habiter ici et ça les choque.»

Vente de chaussures

Le temps s'écoule lentement à la résidence du Parc. «Presque tous les résidants passent leur journée dans leur chambre, à ne rien faire», dit la réceptionniste. Les rares activités qui ont lieu n'attirent pas les foules. Lors de notre séjour, une vente de chaussures n'a réuni que cinq résidants.

Et le grand salon, où les gens sont invités à se réunir pour jouer aux cartes l'après-midi, est toujours vide. La télévision de la salle projette des publireportages en permanence.

«Avant, les gens participaient. Mais nos résidants sont de plus en plus malades et en ont moins envie», note Mme Grenier.

Les repas ne sont pas non plus très appétissants. Tout est trop cuit ou sans saveur. Les côtelettes de porc sont dures. Les pommes de terre bouillies, trop molles. Les employés eux-mêmes préfèrent aller au restaurant plutôt que d'avaler les mêmes repas que les résidants.

«C'est pas pire, j'ai seulement été malade une fois en mangeant ici», raconte une préposée.

Plusieurs employés de la résidence du Parc confient qu'ils ne veulent pas finir leur vie dans une maison comme celle où ils travaillent.

Une certification facile à obtenir

La qualité des résidences privées pour aînés varie grandement au Québec. Pour mieux les encadrer, le gouvernement a mis en place un programme de certification en 2007. Des inspecteurs ont visité les résidences privées du Québec pour s'assurer qu'elles respectent 26 critères d'évaluation. Mais le processus comporte des lacunes.

Par exemple, aucun critère ne mesure le confort des usagers. «Les grosses résidences laissent leurs aînés seuls à ne rien faire, mais elles sont tout de même certifiées. C'est dommage pour les aînés que le critère de qualité ne soit pas considéré», déplore la propriétaire d'une résidence privée de Montréal, qui préfère garder l'anonymat.

D'autres critères d'évaluation mentionnés dans le «Manuel d'application du Règlement sur les conditions d'obtention d'un certificat de conformité de résidences pour personnes âgées» ne signifient pas grand-chose.

Par exemple, les résidences doivent «offrir des menus variés conformes au Guide alimentaire canadien». Mais, comme La Presse l'a remarqué, il est possible de servir des repas au goût douteux qui respectent le Guide alimentaire canadien.

La directrice générale de l'Association des résidences et CHSLD privés du Québec, Mariette Lanthier, reconnaît que les critères d'évaluation du ministère de la Santé et des Services sociaux ne sont pas très sévères. «Ce sont des critères sociosanitaires minimaux. On demande par exemple aux résidences d'avoir une trousse de premiers soins accessible en tout temps», dit-elle.

Mais Mme Lanthier croit que les résidences qui se contentent de répondre aux exigences minimales sont appelées à disparaître. «Le milieu des résidences pour aînés est très compétitif. Les gens n'iront pas habiter dans des endroits de mauvaise qualité, estime-t-elle. Ceux qui y habitent déjà ne partiront peut-être pas. Mais ceux qui magasinent leur résidence ne choisiront pas les pires.»

Réplique de la résidence

La résidence du Parc n'a pas encore reçu sa certification du gouvernement du Québec. « Nous sommes en attente d'une réponse. Mais nous satisfaisons les critères de qualité d'Agrément Canada », dit Marilène Béland, directrice de l'établissement.

Réagissant au reportage de La Presse, Mme Béland confirme que le recours aux agences de personnel privées est fréquent à la résidence du Parc. «On le fait le moins possible. Mais on est en pénurie de personnel et on doit quand même offrir des soins aux résidants», dit-elle.

En ce qui concerne la nourriture, Mme Béland ne s'inquiète pas du fait que les employés de la résidence n'en veulent pas. «Nous n'avons qu'un seul menu qu'on doit adapter à tout le monde. La nourriture ne doit pas avoir trop de sel ni de gras. Certains doivent la manger en purée, d'autres hachée... On ne peut pas plaire à tout le monde», souligne-t-elle.

Pour améliorer l'apparence de sa résidence, Mme Béland dit qu'un «plan d'action pour la rénovation de la bâtisse» est en branle. Elle ajoute qu'il est vrai que des médecins ne sont pas toujours présents à sa résidence. «Mais nous avons toujours des contacts avec eux», dit-elle.

Louise Forest est directrice d'une résidence privée de Saint-Hubert. Avant Noël, le seul médecin qui venait soigner ses résidants une fois par semaine a pris sa retraite. Depuis, assurer les services médicaux dans sa résidence est difficile. Une vingtaine de résidences dans la seule région de la Montérégie seraient dans la même situation, selon Mme Forest.

Sans services médicaux à domicile, Mme Forest doit trouver du temps pour envoyer ses résidants chez le médecin. «Très peu d'entre eux sont soutenus par leur famille. Nous devons nous en occuper et les amener chez le médecin. Mais ça prend du temps. Et nous manquons déjà de personnel», dit-elle.

Réjeanne St-Onge, Montréalaise de 83 ans, a subi les contrecoups du manque de soins dans les résidences privées. La Presse a rencontré cette dame au mois de décembre 2008. Elle habitait alors dans une résidence privée de plus de 500 places dans l'est de Montréal.

Mme St-Onge voulait voir un médecin. Lorsqu'elle urinait, elle éprouvait de vives douleurs. Elle devait se lever et se tenir le ventre en grimaçant, tout en urinant dans sa culotte d'incontinence. «Ça dure depuis des mois», disait-elle.

Mme St-Onge voulait aussi pouvoir lire. Mais elle souffrait de cataractes. Veuve et sans enfant, elle n'avait pas de famille. Et personne n'assurait son suivi médical.

Lors de notre rencontre, Mme St-Onge sentait les excréments. Elle avait les ongles sales. «On se fout de moi ici. Mais je ne suis pas si mal. De toute façon, j'irais où?» demandait-elle. Mme St-Onge est morte quelques semaines après notre rencontre.