Le nombre d'infirmières qui choisissent de travailler dans le secteur privé a bondi au cours des dernières années. Et avec elles, la multiplication des agences de santé, surtout dans la région métropolitaine.

Près de 7000 infirmières travaillent dans le secteur privé, selon les dernières statistiques compilées par l'Ordre des infirmiers et infirmières du Québec.

 

Environ 3000 d'entre elles travaillent au sein d'agences de santé. C'est deux fois plus qu'il y a sept ans.

La main-d'oeuvre indépendante veut avoir la liberté de choisir son horaire. Elle apprécie la flexibilité qui est offerte dans le privé, estime Monique Richer, présidente et directrice générale de l'agence Accès Services Santé, qui embauche 750 personnes.

Dans le réseau, certains reprochent aux infirmières des agences de choisir les plus beaux quarts de travail, de ne travailler que le jour alors que les besoins sont criants sur les autres quarts de travail. À l'hôpital Pierre-Le Gardeur, par exemple, de 20 à 30% des infirmières assurant un remplacement de jour proviennent des agences privées.

Pourtant, plusieurs infirmières des agences travaillent aussi le soir, la nuit et les week-ends, affirme Mme Richer. «J'ai des infirmières qui me disent par exemple qu'elles sont prêtes à travailler toutes les fins de semaine, mais en échange, elles veulent qu'on les libère tout l'été.»

La région métropolitaine compterait à elle seule une soixantaine d'agences, mais aucune compilation officielle n'existe à ce sujet.

Certaines sont des agences bien établies, avec un chiffre d'affaires important. D'autres sont des agences intermédiaires qui se spécialisent dans des créneaux particuliers, notamment auprès des immigrants. Les autres sont des agences dites «maison». Il s'agit souvent de quelques infirmières qui décident de se regrouper ensemble.

Les infirmières des agences gagnent davantage que celles qui travaillent exclusivement dans le réseau public. Elles peuvent espérer recevoir de 30 à 50$ l'heure.

Au bout du compte, la facture est élevée pour les établissements de santé qui ont recours aux agences. La somme a atteint 81,28 millions à Montréal seulement pour le recours aux infirmières auxiliaires, techniciennes et cliniciennes du privé dans les établissements de santé.

«Oui, le salaire est plus alléchant. Par contre, il faut penser que l'infirmière qui vient travailler chez nous n'a pas de caisse de retraite et n'a pas les avantages sociaux qui sont accordés dans le réseau. Quand vous calculez tout ça, vous réalisez que la facturation que nous faisons au réseau, quand elle est faite correctement, n'est pas abusive», explique Mme Richer.

Certaines agences font toutefois de la surenchère, reconnaît-elle en soulignant que la mise en place d'un code d'éthique serait le bienvenu dans le milieu.

Le gouvernement a demandé aux établissements d'avoir moins recours aux agences. Mais dans le contexte de pénurie, c'est très difficile.

Difficile de rivaliser avec le privé

Même avec une réorganisation du travail qui permet un peu plus de flexibilité, notamment pour une infirmière qui voudrait retourner aux études, le réseau public peine à rivaliser avec le privé.

«Nous essayons d'aménager des choses, mais nous n'avons sûrement pas encore dans le réseau la souplesse souhaitée par les infirmières d'agences qui magasinent leur quart de travail», reconnaît la directrice générale adjointe des affaires cliniques au CHUM, Esther Leclerc.

La présence des infirmières des agences peut aussi créer des tensions au sein des équipes de travail.

«Il y a un côté pervers à avoir une infirmière qui travaille à côté d'un groupe et qui est payée différemment pour le même travail. C'est un peu pervers parce que ça pourrit le climat. Si les autres infirmières ont l'impression d'avoir un peu moins de pression, on se retrouve tout de même avec deux groupes d'individus pour donner les mêmes soins», déclare Mme Leclerc.

Généralement, ces infirmières indépendantes sont très bien formées, mais connaissent peu les pratiques en place dans un établissement précis. Cela crée une surcharge de travail pour le reste de l'équipe, souligne le vice-président de la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ), Daniel Gilbert.

«Les infirmières doivent recommencer à expliquer chaque quart de travail le fonctionnement de l'unité, soutenir cette main-d'oeuvre des agences privées. À un certain moment, elles en ont assez.»

Pour faciliter l'intégration, certains établissements, comme l'hôpital du Sacré-Coeur, ont mis en place un processus de sélection rigoureux.

«On n'improvise pas. On n'appelle pas à l'agence pour demander quatre ou cinq infirmières pour le soir même», lance la directrice des soins infirmiers, Johanne Salvail.

La direction étudie d'abord les curriculum vitae des infirmières indépendantes avant d'en convoquer certaines en entrevue. Celles qui seront retenues recevront ensuite deux jours de formation, aux frais de leur agence, sur l'unité de soins où elles seront appelées à travailler. L'hôpital constitue ainsi une banque d'infirmières qu'elle peut joindre pour pallier le manque d'effectifs.