Il y a trois ans, le gouvernement a annoncé que le CHUM serait construit en utilisant le mode de partenariat public-privé (PPP). Une méthode permettant, selon lui, de se prémunir contre les dépassements de coûts. Le consortium choisi devra financer et construire l'hôpital. Il restera propriétaire du bâtiment et en assurera l'entretien pendant 30 ans. Le CHUM lui paiera un loyer. Depuis, la crise a éclaté et les consortiums peinent à trouver du financement. Le gouvernement devra avancer ou garantir des fonds. Des économistes, des médecins, des architectes affirment qu'il faut abandonner le mode PPP pour un projet de cette envergure. Voici le pour et le contre.

Q: Vous avez écrit un éditorial intitulé «Sortir du dogme PPP» dans le dernier numéro de la revue de l'Ordre des architectes. Cela s'applique-t-il en particulier au CHUM?

 

R: Au Québec, les PPP sont devenus un dogme, appuyés par une législation et une structure de quasi-lobbying, qui est l'Agence des PPP. Celle-ci prône une seule façon de faire. Alors qu'on vit des changements économiques importants, elle devrait pouvoir réajuster le tir, nuancer ses propos, mais elle ne le fait pas. Quoi qu'il advienne, quelle que soit la nature et la complexité d'un projet, partout et tout le temps, c'est la formule qui est retenue. C'est comme si on avait un parapluie du Oui pour les PPP, mais pas de parapluie du Non. L'Agence a une idée en tête, une formule, un moyen, et pense que ce moyen peut répondre à tous les problèmes. Pourtant, il ne convient pas partout. D'autres pays ont essayé de construire des grands hôpitaux en PPP et se sont cassé les dents sur la qualité du projet, sur les délais et les coûts. Le PPP ne convient pas du tout à un grand projet complexe comme le CHUM.

Q: Pourquoi?

R: Les PPP peuvent convenir à des autoroutes, des viaducs et d'autres ouvrages relativement simples, qui ne sont pas appelés à évoluer. Mais pas à de grands hôpitaux. L'Agence des PPP essaie de nous faire croire qu'on peut définir des projets comme ceux-là sans avoir de plans et de devis trop contraignants. Pourtant, ceux qui ont fait des projets d'architecture savent à quel point des plans précis sont essentiels à une bonne réalisation.

Q: Craignez-vous que le CHUM soit de moindre qualité s'il est fait en PPP?

R: Tout à fait. En mode PPP, on dit au consortium que les portes doivent ouvrir et fermer. En mode conventionnel, on lance un appel d'offres en définissant les moindres détails: la hauteur des portes, leur largeur, leur épaisseur, le matériel, le système de verrouillage, etc. Si on ne précise rien, on aura le plus bas dénominateur commun. Au bout du compte, on court le risque d'avoir une porte qui ne répond pas aux usages auxquels elle est destinée, en termes de résistance, de fonctionnalité, de dimension.

Q: M. Lefebvre affirme que le consortium n'a pas intérêt à rogner sur la qualité, son contrat l'obligeant à entretenir le bâtiment et donc à réparer ce qui va briser...

R: Le CHUM sera constamment en intervention. Il devra réclamer des portes qui fonctionnent mieux; il va être continuellement dérangé par des travaux de rénovation. Ce n'est pas pour rien que les Britanniques - qui nous servent de modèle en matière de PPP - ne veulent plus faire de grands hôpitaux en PPP. L'Écosse vient de lancer des appels d'offres pour un grand hôpital en mode conventionnel. Un hôpital évolue sans arrêt: il doit pouvoir se moderniser sans avoir à négocier avec un consortium propriétaire du bâtiment.

Q: Vous avez écrit qu'il vaudrait mieux se faire la main avec des projets en PPP plus petits. Pourquoi?

R: On n'est pas les seuls à le dire. J'étais à un colloque d'entrepreneurs en construction: c'est aussi leur opinion. Ma mère disait qu'on n'essaie pas une recette quand on attend de la visite. Au CHUM, on attend des milliers de visiteurs! Montréal deviendra le plus grand chantier au monde pour la construction d'hôpitaux en PPP, alors qu'on n'a à peu près aucune expérience de construction avec ce mode-là.

Q: Construire en mode public va-t-il plus vite?

R: Oui. Le projet de CHUM traîne depuis des années, avec une foule d'avocats et de comptables qui n'ont jamais construit de bâtiments. En attendant, les plans ne sont pas dessinés. Il faudra bien qu'un jour des architectes les fassent! Ils auraient pu commencer il y a longtemps. En mode public, on peut lancer des appels d'offres par étapes et compléter les plans au fur et à mesure. En mode PPP, il faudra dessiner tous les plans avant de commencer les travaux.

Q: Le mode PPP n'est-il pas moins risqué financièrement?

R: M. Lefebvre affirme qu'il y a eu des dépassements de coûts dans la majorité des grands travaux au cours des dernières années au Québec. C'est tout simplement faux. En revanche, il est de notoriété publique que les consortiums qui construisent en PPP doivent emprunter à des taux d'intérêt plus élevés que le gouvernement. C'est encore plus vrai depuis l'éclatement de la crise financière. Les consortiums peinent tellement à se financer qu'ils doivent demander des centaines de millions de dollars d'aide au gouvernement.

Maintenir le cap sur la démarche PPP au CHUM, c'est comme aller directement chez un shylock pour obtenir un financement. Ce sont nous, les contribuables, qui allons payer des taux usuraires, tout en garantissant l'emprunt. Est-ce qu'il faut être stupide, ou quoi? C'est le temps de dire: révisez cette maudite affaire.