Il devait voir le jour dans Rosemont, puis au centre-ville, puis à Outremont, et de nouveau au centre-ville. Il devait être terminé en 2006, en 2010, en 2013 et maintenant en 2018. Le feuilleton du CHUM ressemble à une tragicomédie.

Même l'appel de propositions a été reporté à quelques reprises. Il est finalement annoncé aujourd'hui.

Difficile de savoir qui mène le bateau. Le projet navigue entre le bureau du directeur général, responsable de la modernisation des CHU, l'Agence des partenariats publics-privés, le comité de planification du CHUM centre-ville, la direction de l'hôpital et le gouvernement.

En 1995, le projet avait pourtant été bien accueilli. Le CHUM allait naître de la fusion des hôpitaux Saint-Luc, Notre-Dame et Hôtel-Dieu. Mais l'enthousiasme s'est effrité avec les années, laissant place au cynisme et à l'ironie.

«Mes collègues les médecins disent que ça ne se fera jamais. Il y a une adhésion qui est nulle», reconnaît le Dr Guy Breton, vice-recteur de l'Université de Montréal.

Officiellement, le CHUM existe depuis 14 ans. Mais dans plusieurs domaines les trois hôpitaux ne sont toujours pas capables de travailler main dans la main. Dans le jargon du milieu, on parle même de procédure «chumée» ou «non chumée». C'est-à-dire une procédure médicale - par exemple l'hémodialyse - qui est la même dans les trois hôpitaux du CHUM (chumée) ou qui est particulière à un seul des hôpitaux (non chumée).

«Le projet a tellement traîné que les gens se disent: "On ne fera pas l'effort de se transformer." Il n'y a pas cet effort de transformation, même aujourd'hui. Je trouve ça dommage», ajoute le Dr Breton.

La vie quotidienne n'est pas facile au CHUM, ni pour le personnel, ni pour les médecins. D'autant moins que plusieurs d'entre eux ne travailleront pas au nouveau CHUM, mais plutôt à l'hôpital communautaire qui sera conservé, Notre-Dame.

«Il y a toujours des gens qui ont des velléités derrière la tête. Il y a des gens qui ne se retrouveront pas dans le CHUM une fois construit, qui n'en ont rien à foutre du projet et qui, au fond, cherchent à sauvegarder leur situation actuelle. Il y en a un certain nombre dans le corps médical», souligne un médecin qui souhaite garder l'anonymat.

Démoli, rénové et démoli

La valse-hésitation sur le choix d'un site n'a pas aidé au projet du CHUM. Ni les nombreuses modifications qu'il a subies par la suite.

En 2004, la commission Mulroney-Johnson a recommandé l'abandon du site du 6000, rue Saint-Denis pour construire le CHUM au centre-ville, à l'actuel hôpital Saint-Luc.

Le projet prévoyait alors la démolition de Saint-Luc. Trop cher, a tranché la commission. Il faudra donc réduire le nombre de lits. «C'était impensable de retirer des lits, à cause de la mission d'enseignement de l'hôpital et de l'engorgement des urgences», explique un ancien consultant.

La solution: rénover l'hôpital Saint-Luc plutôt que de le démolir. C'est le projet qui a été retenu jusqu'à l'automne dernier. C'est à ce moment que les médecins spécialistes sont sortis sur la place publique en affirmant que rien n'allait plus. Ils ont rejeté le projet du CHUM en bloc.

Depuis, le projet a été revu et bonifié. L'hôpital Saint-Luc sera finalement démoli et reconstruit. Le CHUM comptera plus de lits et plus de salles d'opération. Le dernier chiffre fait état de 43 salles d'opération, dont quatre pour l'ophtalmologie.

Malgré les délais et les coûts supplémentaires, le gouvernement maintient que le CHUM ouvrira en 2013. C'est vrai, mais seulement sa phase 1. On sait maintenant que le CHUM ne sera achevé qu'en 2018.

Si tout va bien. Car la crise économique est une menace réelle. «Je sens que le projet dérape actuellement et c'est important de ne pas rater notre coup. C'est beaucoup d'argent», s'inquiétait récemment un ancien consultant.

Le financement est LA tuile qui menace le CHUM actuellement, croit pour sa part le Dr Guy Breton. «On n'en a certainement pas fini avec les difficultés. Avec un projet de 1,8 milliard, un projet aussi structurant mais qui demande de l'adaptation, c'est sûr qu'il va y avoir des grincements de dents. Est-ce que ça va aboutir? Je pense que oui.»