Rage et dépit chez les militants antiamiante, soupir de soulagement chez les mineurs québécois: l'amiante chrysotile ne sera pas inscrit sur la liste des produits chimiques dangereux de la Convention de Rotterdam, faute de consensus entre les représentants des 126 pays signataires réunis à Rome jusqu'à vendredi.

«Les pays n'ont pas réussi à s'entendre sur la nécessité d'inscrire le chrysotile sur la liste des produits dangereux. On s'attend à ce que l'enjeu soit renvoyé à la prochaine réunion, en 2010», a expliqué hier Mark Quinlan, porte-parole du ministre fédéral des Travaux publics, Christian Paradis.

Député de Mégantic-L'Érable -la seule région du pays à exploiter de l'amiante-, M. Paradis a été chargé de s'exprimer au nom du gouvernement fédéral dans ce dossier controversé. Il n'était toutefois pas disponible, hier, pour une interview. «La position du Canada n'a pas changé, a dit son porte-parole. Depuis longtemps, le Canada prône une utilisation contrôlée du chrysotile, tant au pays qu'à l'étranger. Et cela passe par l'application de règlements, de programmes et de pratiques appropriés.»

Interdit en Europe et dans la plupart des pays industrialisés, l'amiante chrysotile cause des maladies pulmonaires mortelles, comme le cancer, l'amiantose et le mésothéliome. Ottawa reconnaît que le minerai est cancérigène, mais affirme qu'il est moins dangereux que les autres fibres d'amiante s'il est utilisé de façon «responsable et sécuritaire».

Un argument qui ne tient pas la route, selon les militants antiamiante, qui soutiennent que les travailleurs des pays du tiers-monde sont trop souvent exposés à des dangers dont ils ne sont pas conscients.

L'Inde, le Pakistan, le Vietnam et les Philippines se sont opposés hier à l'ajout du chrysotile à la liste des produits toxiques de la convention, tel que le recommandait un comité d'experts internationaux. «Le Canada n'a rien dit, laissant ses principaux clients faire le sale travail à sa place», a déploré le député néo-démocrate Pat Martin, au terme d'une journée de chauds débats à Rome. Il n'y a pas eu de consensus, a dit M. Martin. L'industrie de l'amiante a gagné. C'est un jour très triste pour la convention, parce qu'on vient de démontrer que les intérêts commerciaux peuvent avoir préséance sur les recommandations scientifiques.»

Bonne nouvelle

L'humeur était très différente dans les quartiers du maire d'Asbestos, Jean-Philippe Bachand. «C'est une très bonne nouvelle», a-t-il confié à La Presse, manifestement soulagé. À Asbestos, la mine Jeffrey emploie environ 300 travailleurs. Et rien ne peut désormais empêcher le projet d'agrandissement de la mine. Les propriétaires prévoient exploiter d'ici peu un nouveau gisement souterrain de 200 millions de tonnes de chrysotile.

Le maire Bachand ne croit pas que le minerai soit nocif. «J'ai joué dans des résidus d'amiante toute ma jeunesse avec mes Tonka, a-t-il raconté. Si c'était dangereux, probablement que la ville d'Asbestos serait éradiquée!»

Les produits toxiques inscrits à la liste de la Convention de Rotterdam ne sont pas interdits. Toutefois, les pays qui les exportent doivent prévenir les pays importateurs de leurs dangers potentiels.

«Les pays sous-développés n'ont pas accès à toutes les ressources scientifiques et ont besoin d'être informés des dangers de certains produits», a soutenu Kathleen Ruff, coordonnatrice de l'Alliance pour la Convention de Rotterdam, un lobby anti-amiante. «La convention risque de devenir une véritable risée. Les produits inscrits sur sa liste seront ceux qui ne sont soutenus par aucune industrie. Les produits dangereux exportés dans les pays pauvres n'y figureront pas, en raison de pressions politiques et commerciales.»

Le député Martin prédit que le Canada finira tôt ou tard par interdire le chrysotile. L'ancien mineur d'amiante n'entend pas lâcher le morceau. «Nous avons perdu cette bataille, mais nous gagnerons la guerre.»