Des toxicomanes irréductibles qui ont échoué plusieurs tentatives de sevrage ont amélioré leur condition de façon significative grâce à l'injection supervisée d'héroïne fabriquée en laboratoire.

Pendant la durée du traitement, ils ont réduit leur consommation de drogues illicites et leurs activités criminelles, tout en atténuant leurs problèmes de santé, constate une étude rendue publique hier à Vancouver.

 

«Ces résultats démontrent que l'héroïne pharmaceutique offerte sous supervision est efficace chez les toxicomanes qui n'ont pas répondu à des formes de traitement traditionnelles», affirme la Dre Suzanne Brissette, responsable du volet montréalais de la recherche.

Cette recherche, connue sous le nom de «projet NAOMI», est susceptible de relancer le débat sur les centres d'injection supervisée qui avaient été envisagés puis écartés par le gouvernement du Québec, l'an dernier.

L'ex-ministre fédéral de la Santé, Tony Clement, a quant à lui livré une bataille rangée contre l'unique lieu du genre en Amérique du Nord, Insite, qui dessert une clientèle extrêmement lourde dans le centre-ville de Vancouver.

Insite est toutefois différent du projet NAOMI. Les toxicomanes s'y injectent des drogues achetées dans la rue, et non de l'héroïne pharmaceutique.

Limiter les dégâts

Mais les deux projets adhèrent à la même philosophie de «réduction des méfaits», souligne la Dre Brissette. C'est une approche pragmatique - et controversée - qui tente d'améliorer la situation de toxicomanes qui ne parviennent pas à s'arracher à leur drogue. En d'autres termes: on ne vise pas l'abstinence, mais on veut limiter les dégâts associés à la consommation de drogues de rue.

Lancé il y a trois ans, le projet a été mené par des chercheurs de Vancouver et de Montréal. Il a rejoint 251 toxicomanes, dont 59 à Montréal. Parmi eux, 45% recevaient de la méthadone et 45% de l'héroïne pharmaceutique. Pour des raisons de validation scientifique, 10% recevaient du Dilaudid, un puissant analgésique.

Les participants avaient droit à une dose quotidienne maximale de 1000 mg d'héroïne. Or, en moyenne, ils se contentaient de 450 à 500 mg. Une bonne nouvelle, selon la Dre Suzanne Brissette: cela démontre que les participants n'ont pas été entraînés dans une spirale de surconsommation.

Autres données concluantes: au début de l'expérience, les participants consommaient de l'héroïne «de rue» en moyenne 26 jours par mois. Dans le groupe de personnes traitées à l'héroïne, cette consommation d'opiacés illicites a été réduite à cinq jours par mois, et à 12 dans le groupe témoin qui recevait de la méthadone. En revanche, la consommation de cocaïne n'a presque pas diminué.

Les participants se livraient à des activités illégales environ un jour sur deux pour acheter leur drogue. Après avoir fréquenté les cliniques de NAOMI pendant 12 mois, ce taux d'activité criminelle a baissé à huit jours par mois dans le groupe qui recevait des injections d'héroïne, et à six jours chez les personnes traitées à la méthadone.

Parallèlement, les participants ont diminué leurs dépenses en drogues illicites de 1500$ à 300$ par mois chez ceux qui recevaient de l'héroïne, et à 500$ chez ceux qui recevaient de la méthadone.

Les partisans des injections supervisées soutiennent que celles-ci entraînent des coûts moindres que les soins de santé requis par les toxicomanes de rue. Les résultats du projet NAOMI vont en ce sens. Ils indiquent que l'état de santé physique et psychique des participants s'est amélioré de 27% dès les premières semaines de l'expérience.

Mais surtout, dans le groupe qui recevait de l'héroïne pharmaceutique, près de neuf participants sur 10 ont suivi le programme jusqu'au bout. Ils avaient auparavant échoué, en moyenne, à sept tentatives de sevrage.

Cliniques permanentes?

Enfin, les chercheurs ont constaté que les deux cliniques d'injection, à Montréal et à Vancouver, n'ont pas eu d'effets néfastes dans la communauté. «Elles n'ont pas causé de troubles et il n'y a pas eu de seringues autour des cliniques», se réjouit la Dre Brissette. Celle-ci souhaite que les gouvernements en tiennent compte pour autoriser NAOMI à garder ses cliniques ouvertes de façon permanente - celle de Montréal a fermé ses portes en juin.

Mais pour cela, il faut le feu vert de Québec et d'Ottawa. Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, préférait étudier les résultats de la recherche avant de se prononcer. Quant à Ottawa, le prochain ministre de la Santé doit encore être nommé.

 

NAOMI EN CHIFFRES

> Les deux cliniques de NAOMI ont administré 109 171 injections en trois ans d'existence

> Elles ont rejoint 251 participants, dont 59 à Montréal

> Âge moyen des participants: 39 ans, qui ont en moyenne 16,5 années de toxicomanie

> Nombre moyen de tentatives de sevrage: 7

> 72,9% n'avaient pas de logement stable

> 94,4% ont eu des ennuis avec la justice

> 31,3% ont déjà tenté de se suicider