À l'issue de la 63e Berlinale, Denis Côté est devenu le premier cinéaste du Québec à recevoir l'Ours d'argent de l'innovation, le prix Alfred-Bauer créé en 1987 et dédié au fondateur de la Berlinale. Il a reçu des mains du président du jury, le grand maître Wong Kar-wai, ce prestigieux prix, le troisième en importance du palmarès, pour son huitième long métrage, Vic et Flo ont vu un ours. La Presse et Radio-Canada nomment Denis Côté Personnalité de la semaine.

Assis derrière la délégation du Chili et devant celle du Kazakhstan à la cérémonie de la remise des prix de la 63e Berlinale, Denis Côté était d'un calme olympien. Le regard fixe, le corps parfaitement immobile, le cinéaste de 39 ans respirait à peine. «Ça va?», lui ai-je lancé en touchant son avant-bras couvert de tatouages, mais cachés ce soir-là par la manche de son smoking. «Oui, a-t-il répondu sans desserrer les dents. J'ai juste hâte de savoir ce que je gagne.»

Denis Côté avait été prévenu par la Berlinale qu'il allait recevoir un prix pour son huitième long métrage, Vic et Flo ont vu un ours, avec Pierrette Robitaille, Romane Bohringer et Marc-André Grondin dans les rôles-titres.

Mais quel prix? Le suspens dura presque jusqu'à la fin. Puis, à l'annonce de l'avant-dernier Ours d'argent - le prix Alfred-Bauer créé en 1987 à la mémoire du fondateur de la Berlinale -, Denis Côté a vu Wong Kar-wai, le président du jury et un cinéaste qu'il admire énormément, s'avancer sur scène. En entendant son nom, Denis Côté s'est levé comme une balle.

«J'étais presque plus excité d'aller rejoindre Wong Kar-wai sur scène que de recevoir un prix», a-t-il confié plus tard en serrant son Ours d'argent.

En même temps, une fois remis de ses émotions, Côté a pris la pleine mesure de ce prix prestigieux dédié à l'innovation, le troisième en importance du palmarès, remis juste avant le prix du jury et l'Ours d'or du meilleur film.

«J'ai toujours été allergique aux conventions dans le cinéma et j'ai toujours essayé, dans mes films, d'apporter quelque chose de nouveau, qui n'avait pas été fait. Ce prix me confirme que j'ai eu raison.»

En conférence de presse une heure plus tard, Denis Côté a poussé son raisonnement en promettant de poursuivre dans la voie de l'innovation et de ne jamais succomber aux sirènes de Hollywood. «Je vous le promets, je n'irai pas faire des films à Hollywood», a-t-il lancé avec une pointe d'ironie.

Drôle d'oiseau que ce cinéaste de six pieds né au Nouveau-Brunswick et d'origine brayonne, qui a commencé sa vie professionnelle à Montréal et a sévi comme critique de cinéma à l'hebdo Ici entre 1999 et 2005. Grand cinéphile, il a étudié le cinéma au cégep d'Ahuntsic avant de fonder une petite boîte de production qui lui a permis de faire ses classes en tournant une quinzaine de courts métrages avant d'abandonner la critique et de faire le grand saut en 2005. D'entrée de jeu, son premier long métrage, Les états nordiques, a été invité au festival de Locarno et lui a valu le Léopard d'or de la section vidéo.

Autant dire que ce Léopard fut le premier d'une longue liste au sein d'un bestiaire intime qui allait prendre de l'expansion.

Les critiques de cinéma qui sautent la clôture avec succès ne sont pas légion. Mais Denis Côté, qui dans sa vie de critique fut controversé et même banni par certains distributeurs québécois, s'est vite fait un nom dans les festivals de la Suisse jusqu'à la République tchèque en passant par la Corée du Sud, où ses films étaient systématiquement invités.

À tel point que sa fréquentation assidue des festivals lui a valu le surnom de «gars des festivals», un surnom qui le range dans une case à part, mais qui n'en fait pas un prophète dans son pays. Tout le contraire. Depuis Les états nordiques jusqu'à Bestiaire lancé en 2012, le public québécois a systématiquement boudé le cinéma exigeant, mais fascinant de Denis Côté. Cela n'a jamais laissé le principal intéressé indifférent. «Je veux que le public vienne voir mes films, a-t-il encore dit à Berlin cette année. J'ai besoin du public. En même temps, je ne ferais pas de concessions dans mes films pour lui faciliter la tâche. Avec mes films, il faut que le public travaille un peu, mais surtout qu'il pense par lui-même.»

Créateur radical, très critique de la société et furieusement original, Denis Côté prend plaisir à dérouter voire à désorienter son spectateur. Avec lui, on va de surprise en surprise, mais on y va de main de maître.

Ainsi en est-il de Vic et Flo ont vu un ours, son film le plus accessible jusqu'à maintenant racontant les déboires de deux ex-détenues qui ont trouvé refuge dans une cabane au fond d'un bois. Le film souvent drôle multiplie les ruptures de ton jusqu'à une fin grandiose et sanglante.

Denis Côté ne sait pas ce que lui réserve l'avenir. Il n'a pas de projet de nouveau film pour l'instant, mais ça ne devrait pas tarder. Une chose est sûre: Denis Côté n'ira pas à Hollywood, mais il continuera d'innover.