Pauline Gagnon travaille depuis 17 ans au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) à Genève. Elle réalise des travaux sur le boson de Higgs, particule élémentaire prédite par la physique et détectée pour la première fois au début du mois de juillet. La physicienne, originaire de Chicoutimi, fait partie de l'équipe du détecteur ATLAS, un des deux appareils qui ont réussi à identifier ce «chaînon manquant». Afin de souligner cette découverte scientifique, La Presse et Radio-Canada nomment Pauline Gagnon et l'équipe du CERN Personnalités de la semaine.

Près de 50 ans après avoir été postulé par une équipe de scientifiques, l'existence du boson de Higgs a été confirmée par les chercheurs du CERN en juillet. L'annonce de l'observation de cette particule a fait le tour du monde. «Je ne sais pas si, dans votre famille, on fait des casse-tête à Noël. Mais c'est comme si vous cherchiez le dernier morceau de votre puzzle partout, pendant 48 ans, avant de finalement le trouver», explique Pauline Gagnon.

Le boson de Higgs est la dernière pièce du «modèle standard» qui décrit toute la matière qu'on peut voir dans l'univers. Les particules (photons, protons et électrons) n'ont pas de masse en elles et se déplacent à la vitesse de la lumière. Ce qui crée la matière, c'est l'entrée en collision de ces particules avec les bosons de Higgs. Ces derniers forment un champ, le champ de Higgs, qui ralentit les particules et qui leur donne une masse.

La physicienne saguenéenne fait partie de l'équipe ATLAS, sous-division du CERN, qui compte près de 3000 chercheurs qui analysent des collisions créées entre des protons pour transformer l'énergie en matière. «De ces collisions jaillissent des particules, comme un feu d'artifice qui explose. On analyse donc tous ces petits points lumineux qui sont créés.» Le détecteur ATLAS est rattaché au grand collisionneur de hadrons, un anneau de près de 27 km de circonférence, situé sous la terre, près de la frontière franco-suisse. Cet accélérateur de particules est un des plus grands appareils scientifiques jamais construits.

La matière

Pauline Gagnon a toujours été intéressée par le monde de la physique. «J'ai toujours été fascinée par la matière. À l'âge de 5 ans, je voulais déjà devenir professeure de physique. J'ai toujours eu cette passion, mais je ne sais pas du tout d'où elle vient.» Fille d'un artiste et d'une bibliotechnicienne, la jeune femme a fait un baccalauréat en physique à l'UQAM, avant d'enseigner, pendant six ans, aux cégeps de Chicoutimi et de Jonquière. La physicienne avoue que cette période a été particulièrement difficile. «Le gouvernement trouvait que les professeurs de cégep étaient payés à ne rien faire. Il y avait une pression énorme. J'ai fait une dépression. J'ai lâché mon emploi. Mais je suis tombée en amour, puis j'ai déménagé en Californie.»

Elle a appris l'anglais et a survécu en écrivant quelques articles pour une revue scientifique québécoise. Au fil de ses interviews avec plusieurs chercheurs, la jeune femme a eu le goût de retourner sur les bancs d'école. «Il faut peut-être mettre ça sur le dos du complexe du «née pour un petit pain», mais personne ne m'a jamais poussée à aller plus loin qu'un bac et je n'avais jamais envisagé de poursuivre mes études non plus.» Elle finira par obtenir une maîtrise en physique de l'Université de San Francisco... puis un doctorat de l'Université de Californie à Santa Cruz. Pauline Gagnon a même fait des études postdoctorales à l'Université Carleton, à Ottawa. C'est à cette époque qu'elle a commencé à travailler pour le CERN.

Le CERN est le plus grand centre de physique des particules au monde. Il rassemble près de 10 000 physiciens provenant de 70 pays. Elle précise ne pas être la seule Canadienne ni même la seule Québécoise. Près d'une quinzaine de compatriotes contribuent aussi aux travaux du CERN. À elle seule, Pauline Gagnon est aussi «internationale» que son organisation. Comme sa dernière adresse canadienne est située à Ottawa, la physicienne se décrit comme une Saguenéenne de l'Ontario, qui habite en France et qui travaille en Suisse, mais qui est affiliée à l'Université de l'Indiana. «C'est un petit peu compliqué pour les impôts», ajoute-t-elle en riant.

N'ayant jamais réussi à décrocher un poste au Canada, Pauline Gagnon a dû s'exiler pour travailler dans son domaine. Elle est rattachée à l'Université de l'Indiana, aux États-Unis, depuis 1999. Elle avoue qu'elle aimerait que le gouvernement canadien investisse plus d'argent dans la recherche scientifique. «Je sais bien que nos travaux ne mettent rien dans l'assiette des gens. Mais la recherche est ce qui nous différencie des animaux, ce désir, cette curiosité qui nous pousse toujours à aller plus loin. La recherche fondamentale ouvre nos horizons.»