Pour une seconde année de suite, un film québécois se retrouve finaliste pour l'obtention de l'Oscar du meilleur film étranger. Depuis sa sortie au festival de Locarno à l'été 2011, Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau marque les âmes et récolte les prix partout où il passe. Désigné Personnalité de la semaine par La Presse et Radio-Canada, son réalisateur s'empresse d'en partager le crédit tant avec les acteurs qu'avec les artisans du film.

Il y a une tendance lourde chez Kim McCraw et Luc Déry, dirigeants de la boîte de production micro_scope, à choisir des cinéastes qui ont l'humanité tatouée sur le coeur.

Des cinéastes qui sont à leur manière des militants pour un monde plus juste. Des cinéastes qui piochent avec des mots et des images, parce qu'un film s'écrit avant de se tourner, pour tendre la main vers l'autre avec l'espoir de mieux le connaître.

Trois noms nous viennent spontanément à l'esprit: Denis Villeneuve, réalisateur d'Incendies, Anaïs Barbeau-Lavallette dont le second métrage Inch'Allah sortira plus tard cette année, et Philippe Falardeau, réalisateur de Monsieur Lazhar.

À l'image de Villeneuve, Falardeau a suivi pratiquement le même parcours cette année avec son oeuvre qui est maintenant finaliste pour l'obtention de l'Oscar du meilleur film étranger.

«Kim et Luc représentent ce qu'ils ont toujours représenté depuis 12 ans, c'est-à-dire des amis et collaborateurs qui s'engagent dans un film pour la même raison que moi, dit Philippe Falardeau. Ils aiment le sujet, la vision du réalisateur, et ont le goût d'y travailler durant trois ans. Ils ne pensent pas forcément aux résultats (prix, recettes au box-office...).»

En somme, tout ce beau monde fait des films - et accueille le succès - avec des aspirations autrement plus nobles que celle d'être la saveur du mois.

Adapté d'une pièce de théâtre d'Evelyne de la Chenelière, Monsieur Lazhar se déroule dans une classe de sixième année du primaire où les jeunes traversent une dure épreuve, le suicide de leur enseignante. Assis parmi les écoliers, le spectateur fait connaissance avec un remplaçant singulier, immigrant fou de littérature française et qui a aussi un deuil personnel à surmonter. Au fil de l'intrigue, professeur et élèves apprendront à se connaître, ce qui les conduira sur le chemin d'une réconciliation intérieure.

Les personnages des écoliers donnent envie de demander à Falardeau de décrire le Philippe élève du primaire qu'il fut. «Je n'étais pas commode parce que j'étais un mélange de personne qui réussissait assez bien et qui se donnait une licence pour niaiser un peu, raconte-t-il. Je pouvais aussi être la personne désignée pour aider à donner l'exemple. Cela m'a marqué positivement et négativement. Positivement parce que je comprenais qu'on voulait me responsabiliser. Mais en même temps, tu as 8 ou 9 ans et tu sens une pression énorme pour devenir un leader. Ce n'est pas ça que tu veux faire. Tu veux t'amuser.»

Faire des films avec des enfants l'a replongé dans cette étape de sa vie. «Si on regarde Monsieur Lazhar, je pense que je suis un mélange du petit gars un peu turbulent et frondeur [Simon joué par Émilien Néron] et de la petite fille [Alice jouée par Sophie Nélisse] qui réussit bien et est sérieuse.»

Enfant, Philippe Falardeau allait voir des comédies, des Charlot, des films avec Pierre Richard, avec ses parents. Une époque où il n'avait pas la notion de ce qu'est un réalisateur. À l'adolescence avec les amis, il découvre les gros films d'action et les succès au box-office (Star Wars, Rencontre du troisième type, E.T., etc.). C'est à ce moment qu'il en vient à réaliser que derrière des noms d'acteurs, il y a ceux de réalisateurs.

Son attention pour le cinéma d'auteur s'est cristallisée après la Course destination monde qu'il a remportée en 1993. Quoique avant cela, il y avait eu prise de contact...

«Dans les années 80, j'ai vu Amadeus de Milos Forman et j'en ai été renversé, dit-il. Il y avait un regard, un sujet, une sensibilité. Je découvrais tout ce que le cinéma pouvait vouloir dire en dehors du divertissement.»

Dans son propre cas, Philippe Falardeau s'intéresse à des sujets «avec une toile de fond solide» et ancrés dans des domaines sociopolitiques. Comme l'immigration et le système d'éducation dans Monsieur Lazhar. Cette vision est issue de ses études en sciences politiques et en relations internationales.

Philippe Falardeau est heureux de ce qui lui arrive. Avec toute l'humilité qu'on lui connaît, il insiste pour en partager le succès. Ainsi, en trois jours, il a reçu 270 courriels de félicitations. «J'essaie de répondre à tous, dit-il. Je ne veux pas faire semblant que tout ça est normal et me revient. Je veux partager la bonne nouvelle avec tout le monde. Je pourrais couper les liens en me disant occupé, mais non, il est important de rester «groundé».»