GRUBB, coup de coeur du dernier Festival international de jazz de Montréal, s'affiche comme une oeuvre collective. La comédie musicale interprétée par des adolescents roms de Serbie doit toutefois beaucoup au talent, à l'expérience et au dévouement de son metteur en scène, Serge Denoncourt, que La Presse et Radio-Canada nomment Personnalité de la semaine.

Soir après soir pendant une semaine, une vingtaine de jeunes Roms venus de Serbie ont présenté un spectacle qui, en alliant musique, théâtre et danse, souhaitait déconstruire les préjugés qui accablent les leurs depuis des générations. Soir après soir, des centaines de spectateurs les ont applaudis, ovationnés et suivis dans la rue pour danser avec eux.

Parler de «GRUBB manie» semble à peine exagéré. Pour les adolescents concernés, ce déluge d'amour a été un choc. Pour Serge Denoncourt... aussi. Il se doutait bien que le public d'ici serait réceptif à GRUBB (Gypsy Roma Urban Balkan Beats), mais n'avait jamais osé imaginer un tel engouement.

Entendre des programmateurs du Festival international de jazz placer ce spectacle parmi leurs coups de coeur au côté de Prince l'a tout simplement soufflé. «Pour moi, c'est le grand étonnement, avoue le metteur en scène. Sincèrement.»

Fiction et réalité

Serge Denoncourt a été pressenti il y a plus de trois ans par l'une des cofondatrices de RPOINT, une ONG britannique qui favorise la scolarisation des Roms en Serbie. Un ami commun, le transformiste Arturo Brachetti, a fait le lien. Tout ce que le metteur en scène savait des Roms à ce moment-là se résumait à un nom: Emir Kusturica.

«Je savais un peu qu'ils avaient des problèmes, mais j'en gardais surtout une idée romantique héritée de Kusturica qui faisait bien mon affaire et que je n'avais pas approfondie», reconnaît-il. Son affection pour Le temps des gitans et l'envie d'aller voir la réalité de plus près l'ont toutefois incité à accepter de donner un atelier d'une semaine à Belgrade.

«Dans Le temps des gitans, les Roms sont des loosers sympathiques, alors que les gens que j'ai rencontrés sont des winners malchanceux», raconte-t-il. Des adolescents allumés, mais pris dans le cercle vicieux de la pauvreté et de l'ignorance: moins de la moitié des Roms terminent l'école primaire en Serbie.

Ce séjour à Belgrade fut le premier de plusieurs, étalés sur une période de trois ans. L'objectif du metteur en scène: créer une comédie musicale qui parlerait des jeunes Roms d'aujourd'hui, de leurs malheurs comme de leurs aspirations. «Dans le spectacle, il y a beaucoup de fantasmes, explique le metteur en scène. Sortir dans une discothèque, ils ne peuvent pas vraiment faire ça, choisir leur mari contre l'avis de leurs parents non plus. Alors, ils s'offrent ça dans le spectacle.»

Figure paternelle

GRUBB n'étant pas une école du show-business, mais une opération de valorisation de l'éducation, pour participer aux ateliers et au spectacle, les adolescents devaient continuer d'aller à l'école et terminer leur primaire. Serge Denoncourt lui-même a vu son rôle auprès des adolescents se transformer: de metteur en scène, il est devenu un ami et même une figure paternelle pour certains d'entre eux.

Cette responsabilité, il l'a prise très au sérieux. Il a décidé qu'il ne jugerait pas leur culture, mais n'irait pas non plus à l'encontre de ses propres valeurs. Ainsi, il a imposé l'égalité entre les garçons et les filles dans les locaux de répétitions. Ensuite, il a lentement cherché à «élargir la vision du monde» de ses jeunes protégés. Par des discussions, d'abord, et en favorisant les contacts avec des adolescents d'ici, en marge des spectacles présentés à Montréal.

Qu'il monte des textes de Gorki ou de Brecht, Serge Denoncourt dit toujours chercher à faire oeuvre utile. Avec GRUBB, il a la conviction d'y être parvenu. «L'art a servi à l'émancipation de ces jeunes-là, à éveiller les Québécois à une réalité qu'ils ne connaissaient pas, à faire parler d'un groupe de gens dont on parle peu, à faire se rencontrer des adolescents de cultures et de continents différents, énumère-t-il. Cette fois-ci, je suis persuadé que mon art a été au service de certains êtres humains.»

La séparation à l'aéroport a été déchirante. Juste avant de partir, l'un des jeunes chanteurs, Asmet Ibraimovic, a cependant écrit sur sa page Facebook: «Goodbye Montreal, see ya next year!» L'envie de ramener GRUBB l'an prochain est très forte, confirme le metteur en scène. Mais ce n'est pas ce qui lui importe pour le moment.

«Je l'ai vu, ce message. J'allais assez bien à ce moment-là et, étrangement, je me suis mis à pleurer, raconte-t-il. Parce que j'aime beaucoup Asmet, mais aussi parce qu'il s'autorisait ce qu'il n'avait pas osé faire au cours des trois dernières années: il s'est permis de rêver. Ça m'a beaucoup touché.»