La directrice du Théâtre du Nouveau Monde, Lorraine Pintal, a vu en Evelyne de la Chenelière l'émergence d'une parole nouvelle et forte; elle a déclaré que si le TNM mettait rarement à l'affiche, jusqu'ici, d'aussi jeunes auteurs québécois, Evelyne de la Chenelière, qui a 34 ans, méritait d'être l'exception: «Elle est tellement étonnante et talentueuse!» La créativité de la dramaturge s'exprime concrètement: en 12 ans, elle a écrit 17 pièces!

La Presse et Radio-Canada lui rendent hommage en la nommant Personnalité de la semaine.

Sa vie et le théâtre

Il est difficile de trouver carrière plus cohérente et rectiligne. Et plus passionnée. Evelyne de la Chenelière est également comédienne et metteure en scène. Son parcours passe par Paris: études en lettres à la Sorbonne, théâtre chez Michel Granvale. Dirigée par Pol Pelletier à Montréal, au Nouveau Théâtre Expérimental, elle collabore souvent avec Jean-Pierre Ronfard et travaille avec Daniel Brière.

Et puis un jour, après une période de travail intense sur les planches, une petite voix très forte s'est fait entendre: l'appel de l'écriture de théâtre. «Le théâtre dans son ensemble, la découverte du répertoire qui fait partie de la formation, m'ont donné soif de prise de parole», dit-elle.

Ses pièces sont souvent montées à l'étranger et, comme elle surveille de près le travail des traducteurs, elle crée des liens avec eux en vue d'une communauté d'âme, notamment avec sa traductrice allemande. «Les mots voyagent aussi; c'est merveilleux!»

Énumérons quelques titres de ses créations: Élucubrations couturières, Culpa, Personnages secondaires, Au bout du fil, Bashir Lazhar... On a pu voir Des fraises en janvier, des Productions À tour de rôle, présentée à Carleton et qui lui a valu trois mises en nomination à la soirée des Masques. Désordre public a été récompensé par le prix du Gouverneur général.

«Le théâtre en particulier et la littérature en général nous donnent accès à la connaissance d'une infinité de modes d'être. Cela nous mène sur des chemins de réflexion auxquels on n'aurait pas accès autrement.»

Pour la dramaturge, cette vision des êtres rencontrés au hasard de son imaginaire n'est pas mécanique. «C'est véritablement un acte de compassion.»

Besoin irrépressible

L'écriture. «J'écris tout le temps», dit-elle. «J'en ai besoin.» Un besoin qui vient de loin. Elle a toujours été attirée par les arts de façon générale. «Quête de sens, de beauté», explique-t-elle.

Elle écrit depuis son enfance. Elle a traversé tous les cycles pour en venir à l'écriture de dramaturgie tellement plus construite. Le résultat de ce processus vaut la peine qu'on le mette en avant. Elle préfère être jugée sur l'oeuvre plutôt que sur le côté anecdotique de la vie. «J'ai une personnalité anxieuse, avoue-t-elle, je ne suis pas sereine du tout. Doutes, inquiétudes. Et une grande culture de la culpabilité.» Elle se sent redevable. Et souhaiterait venir à bout de l'injustice. «On a beaucoup mis de l'avant ma jeunesse pour dire de moi «elle a déjà fait ceci ou cela». Mais la jeunesse passe. On ne devrait jamais mettre l'âge avant l'oeuvre.»

Si la création allait vite devenir le coeur de sa vie, elle a aussi rêvé plus jeune de s'engager dans l'aide humanitaire, «qui est une image précise de la vertu, du don de soi. Plus tard, je me suis rendu compte que les besoins humanitaires passent aussi par la culture».

Née à Montréal. Une pure laine. «J'ai un bel espace dans le théâtre à Montréal. Mais il n'y a rien d'acquis, il faut continuer à travailler, on ne me doit rien.» Pour maintenir le tempo du travail d'écriture, elle ne doit surtout pas penser à tout ce qui a été écrit depuis la nuit des temps, mais maintenir le désir de dire les choses à sa manière. La recherche d'équilibre est importante pour ne pas tomber dans la paranoïa ou la paralysie: «Et pour rester concentré dans le sens profond du terme», précise-t-elle.

Elle a une famille de quatre enfants, gérée en collaboration avec son conjoint. Bien organisée, elle en convient. Maintenant que les enfants sont à l'école, cela lui laisse un bel espace de temps.

À ce propos, elle dit des choses très belles sur la conciliation travail-enfants. «J'ai vite constaté que les enfants ne m'enlevaient rien. Au contraire. J'ai senti avec eux que la vie et la créativité sont des vases communicants. Le temps passé à autre chose que créer n'est jamais perdu!»