Après avoir fait ses classes à l'opéra pendant une quinzaine d'années, le metteur en scène Robert Lepage s'est attaqué à la monumentale Tétralogie de Richard Wagner. Le premier des quatre chapitres, L'or du Rhin, a été acclamé lundi soir dernier par le public du Metropolitan Opera de New York, puis généralement encensé par la critique des deux côtés de l'Atlantique.

Pour Robert Lepage, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Et cette réussite sur l'une des plus prestigieuses scènes de l'univers de l'opéra rejaillit sur les nombreux créateurs québécois qui ont été associés de près ou de loin à cette entreprise casse-cou.

Lepage avait déjà initié les habitués du vénérable Met à sa façon de faire en y montant une Damnation de Faust axée sur les projections vidéo en 2008. Mais cette fois, le défi était beaucoup plus considérable. «Le Ring (Der Ring des Nibelungen) est de loin l'aventure la plus signifiante dans laquelle puisse se lancer une maison d'opéra», nous a dit le directeur général du Met, Peter Gelb, ajoutant que peu d'entre elles osent le programmer en ouverture de saison. De plus, le Ring de Lepage succède à celui, plus naturaliste, d'Otto Schenk qui y a fait salle comble pendant près de 25 ans. Que son approche à la fois moderne et fidèle à l'oeuvre de Wagner ait reçu un si bel accueil est d'autant plus remarquable qu'à pareille date l'an dernier, le public du Met a conspué le Tosca audacieux de Luc Bondy qui succédait à celui de Zeffirelli, autre metteur en scène abonné au Met.

Afin de souligner cette réussite et un talent que tous saluent, La Presse et Radio-Canada nomment Robert Lepage Personnalité de la semaine.

Une «consécration»

Pour accueillir Lepage, le Met a fait quelques entorses à ses habitudes. D'abord, la scénographie de L'or du Rhin lui a, à toutes fins utiles, été livrée clés en main par la compagnie de Lepage, Ex Machina, plutôt que d'être créée par ses propres artisans. Plus encore, la dimension même de cette machine de scène a contraint le Met à modifier son système de répertoire en n'y programmant que des opéras qui n'auraient à utiliser qu'un seul côté des coulisses. Et on n'a pas encore parlé du coût de cette production, que le New York Times évalue à 16 millions pour les quatre opéras.

«Comme on a pu le vérifier avec le Cirque du Soleil et avec Céline Dion, il y a des compétences très grandes au Québec sur le plan de la technologie des arts de la scène, souligne Michel Bernatchez, producteur d'Ex Machina. Pour être efficace, Robert a besoin d'étapes de recherche, de jouer avec des prototypes, de longues phases d'expérimentation, d'essais et d'erreurs (...). Si tout s'était déroulé comme ça se déroule normalement au Met, il serait parti là-bas pendant des mois, des mois et des mois, mais ce n'est pas comme ça qu'il souhaite travailler.»

Lepage a confié à La Presse qu'il avait senti en ce soir de première «une sorte de consécration», un moment qui «arrive rarement dans une carrière». Il a même entendu dans les bravos du public du Met une volonté que l'opéra soit animé par un nouveau souffle.

«Lundi soir, on m'a dit que la machine était intéressante, mais on s'étonnait qu'elle soit exploitée aussi sobrement, ce qu'on ne dit pas souvent du travail de Robert, fait remarquer Michel Bernatchez. La réponse est dans le fait qu'il nous reste 13 heures de spectacle à faire et qu'il faut que cet objet-là vienne avec son lot de surprises, de coups de théâtre, comme le dit Robert. C'est une bête qui s'éveille et qui va s'agiter un peu plus en fonction des sens qui seront requis dans les autres opéras.»

La suite des choses

Au lendemain de cette grande première, Robert Lepage et son équipe ne se sont pas reposés sur leurs lauriers. Lepage était déjà à Québec pour y travailler pendant quelques jours au Moulin à images qui sera rafraîchi en prévision de l'été prochain. Ce n'est pas tout. La semaine prochaine, le metteur en scène sera à l'Opéra de Lyon pour la présentation de son spectaculaire Le rossignol et autres fables de Stravinsky et, en novembre, il sera sur scène à Ottawa et Toronto dans le spectacle de danse-performance Eonnagata.