Certaines personnes meurent en silence, en dormant, en toute insouciance. D'autres, au contraire, traînent les lambeaux de leur vie, dans des douleurs épouvantables qui semblent ne jamais vouloir finir. Doit-on y mettre un terme volontairement? Les docteurs Marcel Boisvert et Serge Daneault se sont interrogés sur l'euthanasie, à travers une correspondance où ils confrontent avec rigueur leur approche de la souffrance et de la mort.

Dans Être ou ne plus être, débat sur l'euthanasie, publié aux éditions Voix Parallèles, les deux docteurs ont voulu se pencher sur l'appel de désespérance que les personnes souffrantes lancent par leurs yeux creusés par la maladie. Le Dr Marcel Boisvert, maintenant à la retraite, fait partie de la première génération de médecins affiliés à l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Royal Victoria. Le Dr Serge Daneault exerce à l'unité des soins palliatifs de l'hôpital Notre-Dame du CHUM. Ces deux hommes ont été, et sont toujours, proches de la réalité des mourants par leur travail, leurs recherches, leurs réflexions. Leurs voix, bien qu'opposées, mais très riches, alimentent un débat majeur et déchirant de notre société.

Pour leur grande rigueur intellectuelle et tout ce qu'ils apportent pour nourrir notre pensée, La Presse et Radio-Canada les nomment Personnalités de la semaine.

La liberté

Euthanasie: acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'autrui, à sa demande, pour mettre fin à ses souffrances inapaisables1. Ce n'est pas un mince sujet, ils en conviennent d'entrée de jeu, interrogés à tour de rôle. Et ils sont quelque peu surpris de l'ampleur du «succès» de leur prise de position dans ce livre. Ces deux hommes sont de fervents défenseurs de la liberté. Et c'est un mot qu'ils interprètent chacun à leur manière.

Nourris des valeurs profondes et humanistes de leur enfance, ils abordent différemment l'euthanasie. Question de culture, de génération, d'expériences?

Marcel Boisvert, qui a suivi une formation de biochimiste avant de faire sa médecine, aujourd'hui retraité, parle de la sorte d'euphorie palliative qu'il a observée dans ses années de pratique. «On se sent bien d'aider, dit-il. C'est gratifiant. Les médecins font parfois de l'acharnement palliatif. Il faut avoir l'humilité de reconnaître ses limites, les faiblesses des soins palliatifs.» Il se méfie d'une trop grande empathie. «Les motifs des demandes d'euthanasie sont: la grande faiblesse des patients découlant de leur détérioration progressive, une vie futile de dépendance croissante dans le contexte d'une mort imminente, le sentiment d'être un fardeau...»

Né à Marieville, Marcel Boisvert est le cadet d'une famille de sept enfants. Il s'occupait des «bobos» de chacun spontanément. En grandissant, c'est la biochimie du cerveau qui l'a fasciné et à laquelle il a consacré quelques années de sa vie. Devenu médecin généraliste par la suite, sa nouvelle mission lui a donné l'expérience du terrain. Malgré les années, il n'a pas oublié la liberté et l'amour que lui ont donnés ses parents: «Des parents en or. Je ne serais pas devenu qui je suis sans eux.»

Pour un «je t'aime»

En dehors de son travail auprès de patients, Serge Daneault poursuit des activités de recherche dont le thème est la souffrance des grands malades en rapport avec les services de santé. «L'euthanasie, à mon avis, est un raccourci dangereux. Je travaille sur la souffrance, s'exclame-t-il. Et je dis, pour l'avoir constaté mille fois, que ces derniers instants de vie ont une valeur inestimable.»

Enfant de la Révolution tranquille, Serge Daneault a été initié tôt à la vie intellectuelle. Et la médecine a été un choix humaniste: «Pour remettre ce que j'ai reçu dans la vie», souligne-t-il. Lui aussi est le cadet de la famille. «Mes parents avaient un principe qui a fabriqué notre nation: le courage. Courage devant l'adversité, la dureté de la vie.»

Il a assisté de nombreux malades du sida, notamment. Il écrit: «J'ai trop vu de fins de vie où l'inattendu survient sans avertir, où un bonheur ultime se glisse au détour d'un mot, d'un clignement d'yeux, d'un pardon, d'un dernier «je t'aime» pour risquer une seule fois d'empêcher ce bonheur par la provocation délibérée de la mort. Il ne faut pas oublier que la dignité et la noblesse sont aussi du côté de ceux qui souffrent sans requérir la mort.»

Pour ou contre. Ni pour ni contre. Un débat qui nous entraîne très loin.

1. Source: document de consultation de la Commission sur le droit de mourir dans la dignité, mai 2010