Quand Léonie Couture a fondé La rue des Femmes, elle l'a fait avec les moyens du bord: un petit local loué pour presque rien, une table, quelques chaises et, surtout, une volonté de fer. Quinze ans plus tard, son organisme aide 400 femmes sans-abri à quitter la rue chaque année. Pour de bon.

Léonie Couture se promène avec aisance dans les locaux de La rue des Femmes, nichés en plein centre-ville dans un édifice presque neuf. Plusieurs femmes sans-abri ont fait de cet endroit leur refuge. Elles se sont approprié la cuisine, la friperie où elles peuvent trouver des vêtements, le local d'art-thérapie rempli de tableaux aux couleurs vives, le petit jardin ombragé qui jouxte leur maison. Lorsqu'elles voient Léonie Couture, qui les salue toutes par leur nom, leur regard s'éclaire.

Pour souligner l'ensemble de son oeuvre, ainsi que le prix Idola St-Jean 2010 que lui a remis la Fédération des femmes du Québec en mai dernier, La Presse et Radio-Canada nomment Léonie Couture Personnalité de la semaine.

Sans abri, sans amour

«L'itinérance, ce n'est pas une histoire de maisons, affirme Léonie Couture de sa voix douce. Ce sont des personnes malades sur le plan relationnel.»

Une personne qui a vécu des choses dramatiques dans l'enfance est brisée psychologiquement. C'est cette «santé relationnelle» que La rue des Femmes tente de rétablir à tout prix. Sinon, la guérison de ces âmes écorchées risque de se faire en surface seulement, et les plaies de se rouvrir à la première occasion. «Guérir des blessures relationnelles, c'est une question d'années, et je dirais même que c'est une question de vie», affirme Léonie Couture.

Ces femmes en difficulté recherchent de la nourriture et un abri, soit, mais elles ont avant tout besoin d'aide thérapeutique. «La rue des Femmes, c'est un peu comme un hôpital, illustre Mme Couture. On y est hébergé et nourri, oui, mais parce qu'on a besoin de soins qui requièrent l'hospitalisation.»

Être une femme dans la rue

Les femmes dans la rue, qui représenteraient le quart des sans-abri à Montréal, sont encore victimes de préjugés tenaces. «Les gens sont beaucoup plus sévères envers elles, déplore Léonie Couture. Un homme dans la rue, on va dire qu'il n'a pas eu de chance; tandis qu'une femme sans-abri n'a pas su faire ce qu'il fallait...» Et ces femmes sont les premières à se percevoir ainsi. «Elles ont très honte d'elles-mêmes», affirme Mme Couture.

Si la rue, ce n'est drôle pour personne, les femmes sont tout de même plus vulnérables. «On essaie de montrer que l'itinérance, ce n'est pas la même chose selon le sexe, poursuit Léonie Couture. Les hommes se tiennent plus en groupe: ils vont se chicaner ensemble, boire ensemble, s'entraider ensemble... Tandis que les femmes sont plus isolées.» Et en général, elles vont attendre beaucoup plus longtemps avant de se résoudre à aller dans la rue. «Donc quand elles y arrivent, c'est très grave», résume Mme Couture.

Une clientèle négligée

Après avoir travaillé quelques années dans des milieux communautaires, Léonie Couture a constaté qu'une partie de la clientèle était négligée: «Nos services étaient très bons pour les personnes assez organisées, mais pas pour celles à ce point désorganisées dans la vie qu'elles sont rendues à la rue.» C'est ainsi, de fil en aiguille, qu'est née l'idée de La rue des Femmes.

L'organisme compte aujourd'hui deux maisons. La maison Olga accueille le centre de jour, qui offre une panoplie de services, et compte aussi 20 chambres où les femmes peuvent rester de quelques mois à plus d'un an. La deuxième maison, le centre Dahlia, offre 13 logements de transition, une sorte de «stage» pour les femmes assez autonomes pour quitter leur chambre mais pas encore prêtes à faire le grand saut.

«On les aide à trouver des appartements pas trop chers, explique Léonie Couture. Avec ce qu'elles ont vécu, elles ne seront jamais les personnes qu'elles auraient pu être. Donc elles n'auront jamais les salaires qu'il faut pour payer des logements chers.»

Quinze ans après son ouverture, La rue des Femmes emploie une cinquantaine de personnes et compte sur un budget annuel de 1,5 million. Mais ce n'est pas assez. Léonie Couture doit toujours refuser 2000 demandes d'hébergement par année faute de ressources. «C'est vraiment le minimum. Il n'y a pas de folies qui se font ici!» lance-t-elle.

Si l'époque où elle louait un petit local pour 30$ par mois est bel et bien révolue, Léonie Couture n'est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. «Ce n'est pas fini. Il reste énormément de travail à faire», conclut-elle avant de retourner s'occuper de ses femmes, qui ont bien besoin d'elle.

Guérir des blessures relationnelles, c'est une question d'années, et je dirais même que c'est une question de vie.