Il n'aurait même pas osé en rêver. À 34 ans, après trois tentatives aussi infructueuses que frustrantes, Jasey-Jay Anderson a gagné la médaille d'or olympique à Vancouver. Trois semaines plus tard, le spécialiste de surf des neiges a gagné l'épreuve de slalom géant en parallèle de La Molina, en Espagne, dernière course de sa carrière sur le circuit de la Coupe du monde. Le prochain défi de l'un des meilleurs athlètes québécois de sa génération: contribuer à populariser son sport, toujours aussi «obscur» hors des lumières olympiques.

Les victoires de Jasey-Jay Anderson aux Jeux olympiques de Vancouver et à la Coupe du monde de La Molina ont un scénario commun. Une première manche catastrophique, où tout semble perdu, suivie d'une manche ultime de génie, à l'issue de laquelle le planchiste de Mont-Tremblant vient arracher les honneurs.

 

De retour dans ses terres après une carrière de plus de 15 saisons, Anderson peine encore à croire à ce dénouement. «C'est presque trop féerique pour moi, constate-t-il. Je ne souhaitais vraiment pas ça. Littéralement, je focalisais sur chaque virage. Je voulais que ma planche tourne de telle façon. Au bout du compte, je gagne des courses de façon un peu surréaliste.»

Pourtant, la maison de Jasey-Jay Anderson est trop petite pour contenir tous ses trophées: 61 podiums en Coupe du monde, y compris 27 victoires, quatre titres de champion du monde, six globes de cristal remis au meilleur surfeur de l'année, et la précieuse médaille d'or olympique. Sans compter la vingtaine de podiums et le titre mondial de la défunte International Snowboard Federation (ISF), circuit rival à celui de la très officielle Fédération internationale de ski.

Ce palmarès n'a d'égal que l'humilité de son auteur. Pour souligner cette carrière unique et sa conclusion glorieuse, La Presse et Radio-Canada nomment Jasey-Jay Anderson Personnalité de la semaine.

L'équipement, une obsession

Jasey-Jay Anderson a été initié à la planche à neige par un ami, Brett Carpentier, ancien membre de l'équipe canadienne de demi-lune. À la fin des années 80, ce dernier lui avait tellement bien chanté les louanges de ce nouveau sport que Jasey-Jay est «devenu un «snowboarder» avant même d'en faire».

Il avait 13 ans quand il a reçu sa toute première planche à Noël. Cinq ans plus tard, il gagnait sa première Coupe du monde de l'ISF. À l'époque, Anderson s'entraînait aux États-Unis sous la houlette de Jerry Masterpool, véritable mentor. «Environ 80 % de ce que je fais sur la piste, c'est lui qui me l'appris: les bonnes valeurs de travail, la technique, les bonnes dispositions mentales. Il a laissé une grande marque dans ma vie.»

En 1998, à Nagano, le surf des neiges a fait ses débuts olympiques. Avec son compatriote et futur entraîneur Mark Fawcett, Anderson s'est présenté au Japon en faisant figure de favori. Gagnant de la première manche, il a fait une chute lors de la manche ultime alors que les conditions météo avaient radicalement changé. Sa planche ne tenait plus la route. Ce fut la première d'une longue série de frustrations olympiques... et le début d'une constante préoccupation liée à l'équipement.

«Ça a évolué en une obsession. Je me suis complètement investi dans l'équipement», dit Anderson, qui attribue l'essentiel de sa victoire olympique à des innovations technologiques de toute dernière minute.

Polyvalent, Anderson a aussi connu beaucoup de succès en snowboard cross, dernière discipline invitée au grand bal olympique. Il y a obtenu plus de la moitié de ses victoires en Coupe du monde avant d'abandonner la discipline pour de bon l'an dernier. Rare représentant de la version alpine de la planche à neige - bottes rigides, planches profilées et plus étroites -, Anderson ne se sentait pas suffisamment respecté par ses collègues du snowboard cross, qui surfent presque exclusivement sur des planches dites de «freestyle».

Anderson a même disputé quelques Coupes du monde en demi-lune. «Donne-moi un beau «halfpipe» assez mou, et j'adore ça, dit-il. Mais le freestyle, ce n'est pas mon monde. C'est un peu trop rebelle pour moi.»

Avant son triomphe olympique, Anderson passait largement inaperçu dans les grands médias. Il ne s'en formalise pas. «Je me cache un peu!» avoue celui qui n'a jamais été à l'aise avec les félicitations. «Je ne sais jamais quoi répondre. Même après tant d'années, je me sens «cheap» de dire merci. On dirait qu'il faut que je rajoute quelque chose et je ne sais pas quoi.»

La suite

Le champion olympique participera à une dernière course mercredi dans le cadre des championnats canadiens de Mont-Tremblant. En dépit de ses récents succès, il est persuadé de ne pas se retirer trop tôt. Il est trop heureux de revenir auprès des siens, sa blonde Manon et ses filles Jora (4 ans) et Jy (3 ans).

Et Anderson travaille déjà au lancement de sa propre entreprise d'équipement de surf des neiges. Son projet: démocratiser la version alpine du surf des neiges alpin, encore méconnue, et recruter davantage de jeunes. «C'est mon objectif ultime», conclut ce beau rêveur.

C'est presque trop féerique pour moi. Au bout du compte, je gagne des courses de façon un peu surréaliste.