Claude Robinson, créateur du dessin animé Robinson Curiosité plagié par Cinar, a mené une guerre de tranchées et l'a gagnée. Il lui aura fallu 14 années de sa vie, oscillant entre l'espoir et le désespoir; un talent de fin limier pour rassembler plus de 5000 documents de preuve contre les fautifs; subir entre-temps le deuil intérieur de sa créativité. Il lui aura fallu faire preuve d'une opiniâtreté sans borne dont il ignorait même l'existence.

Il dit une phrase digne du Petit Prince et de sa rose: «En tant que créateur, tu es non seulement responsable de ce que tu as créé, mais tu dois protéger et défendre cette création, sinon tu trahis ton oeuvre et tu te trahis toi-même.»

 

Claude Robinson devient un symbole de résilience et un modèle positif pour tous ceux qui pensent ne jamais pouvoir faire triompher la vérité et la justice. La Presse et Radio-Canada ajoutent leurs voix à celles de milliers d'autres qui saluent la ténacité de l'artiste en le nommant Personnalité de la semaine.

Des vagues d'amour

Le récent jugement du juge Claude Auclair dans la cause Robinson-Cinar apportera une compensation financière au dessinateur. Mais au-delà de cette consolation, il y a celle, plus grande encore, d'avoir réussi à débusquer les mensonges des vautours qui reniflent de loin la fragilité des artistes et de leurs oeuvres. «Je ne suis pas un héros, dit-il. C'est une victoire à partager avec tous ceux qui ont raison d'espérer. Par sa décision, le juge a fait gagner le peuple.»

Sentiment de trahison, mépris, perte de respect de soi-même... Tous les éléments étaient réunis pour entrer en dépression profonde. Il ignorait qu'il portait en lui une telle détermination de survie et de justice: «Tous ces jours, ces mois à se sentir niaiseux, 14 ans à lutter contre le doute, à broyer du noir. J'ai consulté des médecins, dont un qui m'a dit finalement que le seul spécialiste qui pouvait m'aider était un juge. Le juge m'a guéri! Et depuis mercredi dernier, je suis heureux.»

Et tous ceux qui le croisent le félicitent et l'admirent.

Il va pouvoir retrouver ses «petits bonhommes».

Son monde imaginaire renaît. «C'est difficile à regagner, l'estime de soi. Le respect de soi. Et surtout de s'accorder le droit de faire de la création à nouveau.» Pendant ces années, il n'a pu peindre, victime d'un choc post-traumatique à compter du jour où il a vu à la télévision qu'on lui avait volé son personnage. Il en est devenu malade.

Crayons de couleur

Installé devant la rivière qui chante, il peint. Un paysage, une maison. Du plus loin qu'il se souvienne, il dessinait. «Mon chien savait même me rapporter mes crayons», se souvient-il en riant. Aujourd'hui, il doit refaire le chemin déjà parcouru. «Je me sens comme lorsque j'étais petit. Chaque fois que l'on trace un trait, on est en état d'incompétence dans ce qui est abordé. Mais réussir n'est pas le premier but. Apprendre, c'est ça qui est important.»

Dans un autre ordre d'idées, il raconte qu'il n'a jamais vraiment su jouer au hockey parce qu'il héritait des patins de cuir mou de son frère. Malgré son incompétence involontaire, on lui a remis le titre de joueur le plus persévérant. «Finalement, ajoute-t-il, songeur, ça ne date pas d'aujourd'hui!»

Né à Montréal rue Viau le 2 mars 1952, cadet d'une famille de quatre enfants, l'homme, doté d'une mémoire phénoménale, a des souvenirs qui remontent à aussi loin qu'à l'âge d'un an et demi. «Je me souviens de tout, dit-il, des calorifères, des vêtements, des odeurs et des saveurs.» Curieux de tout et drôle. Plus tard, à Duvernay, il rencontre un architecte qui fait office de mentor. «Il possédait une très grande culture en matière de design, me révélait certains aspects de la création, m'a fait connaître Le Corbusier.» À son décès, il hérite de sa table à dessin. «Un outil, c'est la richesse: une table à dessin, un crayon, un aiguisoir, quels merveilleux objets!»

Adolescent, il voyage sac au dos en Europe et y fait des rencontres marquantes. À son retour à Montréal, employé comme gérant adjoint du comptoir des fruits chez Steinberg, il crée des personnages qui portent des noms de fruits ou de légumes.

Il a fait du théâtre, appris le graphisme. Un jour, il se présente à l'École des arts graphiques avec son portfolio. Il y allait pour suivre des cours, on l'engage comme professeur!

Claude Robinson ouvre les écluses de sa mémoire heureuse. Il voudrait tout dire en même temps: le rôle indispensable des journalistes dans notre société; la force de l'internet, mais surtout, oh! surtout: l'amour et le soutien indéfectibles de Claire, sa conjointe. Famille, belle-famille, amis, avocats, tous ont droit à sa reconnaissance.

«Au-delà de son jugement, ce que le juge a fait est un acte d'humain à un humain. Il m'a redonné la vie.»

Cette justice si éclatante pour lui exacerbe son empathie. Il souhaite que toutes les victimes des exploiteurs à cravate ou à jupon, ceux qui s'emparent sans vergogne des économies des petites gens, que ces victimes, donc, ne craignent pas de se battre pour obtenir justice. «Imaginez, dit-il, une petite madame de 80 ans, dépouillée de tout, sans ressource, face à elle-même. Je suis inquiet. Le gouvernement doit mettre sur pied rapidement une équipe de spécialistes pour les soutenir. Car j'ai peur pour eux», s'écrie celui qu'une machine de guerre colossale a tenté d'anéantir et qui, comme David armé de sa seule fronde, sort victorieux.