Tous les deux en sont les vedettes. L'homme et la bête. L'un et l'autre objet d'admiration et d'émotion par leur art. L'osmose totale entre l'homme et le cheval atteint avec Cavalia son paroxysme. L'artiste et le cheval, le dresseur, l'acrobate, et tous les autres sur la piste, offrent aux spectateurs les joies les plus vives.

La révélation qu'a eue Normand Latourelle, il y a quelques années, fut d'abord un sens aigu de l'observation. Lorsqu'il s'est rendu compte un jour que le public n'avait d'yeux que pour le cheval trottant sur la scène au milieu de 120 comédiens des Légendes fantastiques, son imaginaire s'est débridé. Ainsi naissait Cavalia.

 

Normand Latourelle est le créateur et maître d'oeuvre de ce spectacle unique qui se tient à Montréal. Cavalia rentre d'une tournée triomphale en Europe et en Amérique. En cinq ans: deux millions de spectateurs!

Pour leur talent, leur vision et ce cadeau de beauté qu'ils offrent à tous, La Presse et Radio-Canada nomment Normand Latourelle et l'équipe de Cavalia Personnalités de la semaine.

Toujours inventer

Imaginer, inventer et surprendre sont les trois éléments fondamentaux du travail de création. Normand Latourelle ne cherche pas tant à accumuler les profits, «l'argent est un outil», dit-il, qu'à donner aux autres, au public, la grâce des chevaux, leur élégance, leur fougue au nom de l'esthétisme et de la beauté. Mais aussi du partage. À travers sa recherche sur le cheval qui, au début, lui était totalement étranger, il a fait un véritable voyage dans le temps et dans l'histoire de l'humanité. «J'adore la nature qui me ressource. Pour me détendre, rien de tel que de pêcher au bout du quai! Le cheval témoigne de cette nature. Ce dialogue, cette communication permettent de s'apprivoiser mutuellement.»

Donnez-lui une coquille vide, il en fera un joyau. «J'aime meubler l'espace, au-delà d'une simple parade», explique-t-il. Pour Cavalia, ceux qui vont revoir le spectacle constateront son évolution, voire le perfectionnement des numéros autant des bêtes que des humains. Pour Normand Latourelle, un spectacle doit se peaufiner, c'est un lieu organique et plein de vie. Voilà en partie pourquoi il vit l'angoisse des soirs de première soumis aux impondérables: «Est-ce que les gens vont encore aimer ça? Est-ce que mon regard personnel est toujours juste?»

Jusqu'à maintenant, le concepteur se tenait à l'écart d'une certaine gloire personnelle: «C'est vrai que je ne tenais pas à m'affirmer comme artiste. Je voulais donner une chance aux autres.» C'est en train de changer. On entend désormais mieux sa voix car il assume sa marginalité, sa pensée hors des systèmes, au-delà des modes. Il ne s'est pas lancé tête baissée dans l'aventure de Cavalia. Mais il est allé au bout. Comme tout ce qu'il entreprend. Monsieur le directeur est un maillon de la chaîne. «Il n'y a pas de roi dans la place», dit-il en riant, ayant appris avec le temps à déléguer, à accepter et pardonner les erreurs.

La poésie

C'est Raôul Duguay qui lui a révélé la poésie en 1968, durant la Nuit de la poésie. Latourelle avait 13 ans. «Cet univers m'a plu tout de suite à cause de sa beauté.»

Cette beauté est présente dès les premières années de sa vie, peu importe le décor: «Dans la ruelle, le trottoir, la rue», à Lachine, Montréal-Nord, Laval.

Le troisième des quatre enfants des Latourelle, né en 1955, anime la cour. À 4 ou 5 ans, il est le magicien des fêtes avec le gramophone de la grand-mère, des décorations faites avec des feuilles de toutes les couleurs que son père, fonctionnaire fédéral, apportait à la maison.

Pas étonnant qu'au secondaire on le retrouve responsable de l'animation étudiante, où sa réputation de «patenteux» n'est plus à faire, où ses idées de financement pour les danses sont audacieuses. Il travaille plus tard avec Duguay, Octobre, Manège, etc. Voilà un bien court résumé d'une carrière bien remplie.

Alors c'est fini l'école. Il apprendra sur le tas les mille et une facettes du métier qu'il exerce. Ainsi outillé, il peut laisser libre cours à sa créativité, notamment dans l'écriture qui lui permet d'aller entre autres «dans les détails».

Il admire les gens qui s'engagent particulièrement en politique et s'insurge contre ceux qui, systématiquement, les démolissent. «C'est admirable de défendre des idées», s'exclame-t-il, convaincu que ceux qui s'y aventurent ont au départ une forte dose d'idéalisme et de bonne foi. Il a pensé s'y consacrer à une certaine époque. Car ce qu'il privilégie dans sa vie, au-delà d'un équilibre à redresser sans cesse, c'est la justice.

Un jour, alors qu'il marchait dans la rue en compagnie de son grand frère déficient intellectuel, un individu s'est avisé de se moquer de lui. Normand, en justicier, lui a donné une raclée. Solidaire, il s'est engagé dans la Maison de Latourelle que sa mère a fondée pour venir en aide aux déficients intellectuels. «Chaque fois que j'ai un problème, je me compare à mon frère et je me dis que j'ai la chance d'avoir les moyens d'agir pour apporter du bien.»

J'adore la nature qui me ressource. Le cheval témoigne de cette nature. Ce dialogue, cette communication permettent de s'apprivoiser mutuellement.