Pour comprendre et connaître le passé, il faut poser des questions. C'est ce qu'a entrepris il y a quatre ans Karine Vanasse lorsqu'elle a proposé de faire un film sur la tuerie de l'École polytechnique. Elle n'avait que 6 ans au moment du drame, tout juste 21 ans lorsque le coup d'envoi a été donné pour la réalisation par Denis Villeneuve du film Polytechnique.

Elle ignorait jusqu'à quel point cette aventure cinématographique, comme actrice et productrice associée, allait transformer sa vie. Sa vision de la vie. Et susciter un grand débat dans la société. Une société que la mort violente de 14 jeunes femmes a laissée sans voix un certain 6 décembre 1989, une histoire douloureuse récente dont le sens est à la fois horrible et insoutenable. Le projet dans son essence même, par les réactions qu'il suscite, devient donc une oeuvre d'autoguérison collective.

 

Pour son opiniâtreté, son courage et son talent, La Presse et Radio-Canada ont choisi pour ce dimanche une véritable star comme Personnalité de la semaine: Karine Vanasse.

Le film

En tournée de promotion dans la province, Karine Vanasse est intarissable. Elle veut défendre le film, mais surtout l'expliquer et dire tout l'amour que Denis a mis là-dedans, précise l'actrice. Elle n'a que des éloges aussi pour tous les artisans du film. Au-delà de l'image, de l'intention, Denis a mis de la poésie, de la beauté dans l'horreur, dit-elle. Elle poursuit: «Le film est bien reçu. Mais l'ego n'est pas là du tout. On ne veut surtout pas récupérer les bonnes nouvelles.»

Ce fut une expérience d'une intensité extraordinaire, et participer à un projet d'une telle importance comprenait des risques d'une grande émotion. «Il y a eu des moments dangereux au cours du tournage, dit-elle. Mais j'étais épaulée, accompagnée par mon compagnon, Maxime, qui comprenait, savait ce que je vivais.» D'autres complicités aussi ont été précieuses: sa famille, sa meilleure amie, son professeur de chant. «Ils ont compris l'importance du projet et ont eu à coeur que j'aille jusqu'au bout.»

À 25 ans Karine Vanasse entre à pieds joints dans une maturité nouvelle, sensible et lucide. «Nos parents, la société même, dans une certaine mesure, nous protègent lorsqu'on est jeune. Et puis après on réalise que la vie n'est pas faite que de belles choses. On apprend cependant à travers les obstacles et les désillusions ou un événement qui nous déstabilise, à se faire confiance, à rebondir malgré une certaine fragilité.»

L'image d'elle-même qu'elle projette est d'une grande sobriété. Grâce et humilité. Karine Vanasse reste fidèle à son instinct de départ. Elle savoure chaque moment de succès, mais sans jamais oublier «les gens tellement généreux, ceux qui ont témoigné, qui ont cru en nous, ceux de qui j'ai appris à ne pas craindre d'approcher ce qui nous fait peur».

Beauté et passion

«J'ai grandi avec des adultes autour de moi», raconte Karine Vanasse, née à Drummondville le 24 novembre 1984. Dans son enfance, elle regardait les dramatiques de Janette Bertrand en compagnie de sa mère. Il n'y avait pas de sujet tabou dans la famille. Pas de peurs à entretenir. Au contraire, une force intérieure qui se bâtissait petit à petit. Elle a commencé jeune à comprendre le plaisir qu'il y a dans l'effort, à aller au bout de son rêve, à se faire confiance et à faire preuve de patience. Cette recette a été mise à exécution plusieurs fois au cours de l'aventure de Polytechnique.

Aujourd'hui, avec l'effort récompensé, le sentiment exaltant d'avoir mené à bien son projet, elle a envie d'un rendez-vous avec elle-même, de retrouver son yoga, une vie pleine d'aventures personnelles: «J'ai commencé l'an dernier à jouer du piano, dit-elle en souriant. J'ai besoin de cette discipline, d'une rigueur, d'une constance mais qui n'est pas imposée, qui vient de moi.»

Elle pense même retourner à l'université. Pourquoi pas en littérature? En sociologie? En psychologie?

Son énergie est à l'état pur: «Une énergie que je n'ai pas utilisée à son maximum encore», confie-t-elle en laissant entendre que l'on peut prévoir d'autres miracles. Sa passion de la vie aussi est immense. Mais à la fin d'un projet, elle a souvent besoin d'un voyage pour se remplir d'autre chose. Il y a certes la nature, la montagne, le ski. Et d'autres rêves qui vont germer en même temps qu'elle fera le point.

«J'ai la foi. C'est de plus en plus important. Il faut être conscient que la vie se révèle dans tout ce qu'elle est: à la fois belle et décevante.»

Elle ne perd pas de vue ses repères. Polytechnique a été une quête de l'essentiel qui la nourrira à jamais comme artiste et comme femme. «Pour faire des choses qui ont du sens», dit-elle en pensant à l'avenir. Et conserver l'équilibre. Le rire et le bonheur. Oui, faire des films pour alléger. Car la vie est faite de cela aussi.