Pour faire rire, il s'inspire souvent de ce qui n'est pas drôle du tout. Il réussit pourtant, avec la magie des mots et des mimiques, à nous faire «mourir» de rire. Le plus souvent, Martin Matte utilise en climax la tendresse, où les larmes ne sont plus très loin. Avec un déconcertant sourire. Ce talent est sans contredit unique.

Au-delà de la scène, il y a la vie quotidienne, ses peines et ses drames. Martin Matte en a vécu son lot lorsque, le 10 août 1986, un accident de la route lui a ravi en partie son frère Christian, alors âgé de 17 ans. Ce frère aîné, ce modèle, a survécu. Mais le traumatisme crânien qu'il a subi a, à jamais, détruit une vie qui s'annonçait sous de meilleurs auspices. Son état difficile a anéanti toute une famille. Martin Matte rappelle que chaque année, au Québec, 13 000 personnes subissent un traumatisme crânien, et que le tiers d'entre elles restent dans un état grave.

 

Après une vingtaine d'années d'attentions, de soins, d'incertitudes; 20 ans à voir sa mère, entre autres, user sa patience et son énergie à soigner son grand frère, Martin Matte a enfin réalisé son vieux rêve d'un toit stable, une «maison» à Laval où Christian peut vivre entouré d'autres malades et d'intervenants chevronnés. Il est en sécurité.

Avec l'aide de nombreux partenaires, en mettant sur pied sa propre fondation, Martin Matte offre ainsi à 11 pensionnaires - et, par ricochet, à leurs familles épuisées - une nouvelle vie.

La Presse et Radio-Canada tiennent à souligner l'humanisme et l'opiniâtreté du petit frère de Christian en le nommant Personnalité de la semaine.

Un baume

«C'est beau, c'est neuf, avec un look résidentiel», annonce fièrement le président de la Fondation Martin Matte en parlant de la maison. Et il ajoute modestement: «La notoriété, n'est-ce pas, ça fait bouger les choses...» Plus sérieux, ému il dit: «Il y a longtemps qu'on en parlait, dans la famille, de créer une ressource. Ouverte il y a trois semaines, je réalise qu'elle existe enfin...» Cette réalisation met du baume sur les années de brouillard qu'il a traversées: «Sur l'événement le plus pénible de ma vie.» Un projet de 1 860 000$, associé à l'Hôpital juif de réadaptation de Laval.

Le «condamné à l'excellence» fait rire, mais il provoque, émeut et garde au fond de lui l'enfant qui a souffert et qui, un jour, a décidé d'agir pour évacuer, exorciser, sublimer cette souffrance. D'abord en osant en parler sur scène et transfigurer le chagrin en éclats de rire. Ensuite, en agissant pour construire des murs, un toit, donner corps à une idée. Martin Matte a aujourd'hui 38 ans; son frère, un an de plus. Il n'a pas oublié: «Adolescent, je le suivais, c'était lui qui m'ouvrait la voie.» Cette nostalgie ouvre aussi la porte des larmes.

«Mon grand frère est devenu mon petit frère.»

Les enfants Matte - deux garçons, une fille - ont vécu à Laval une enfance heureuse. Le héros de Martin était Guy Lafleur. Cette période d'«avant l'accident» les soudait déjà. Son souvenir est devenu un moteur d'action.

Soulager la souffrance

Ceux qui ont vu le spectacle de Martin Matte connaissent l'existence d'une petite boîte à monnaie. Une idée de Martin, presque une boutade, mais qui connaît un franc succès et l'émeut à chaque fin de spectacle. En fin de soirée, les spectateurs qui ont payé leurs billets pour rire un bon coup se laissent émouvoir par la Fondation et laissent en quittant la salle leur petite monnaie, parfois même de gros billets! «C'est la magie des 3000 personnes qui se soulagent de leur monnaie et repartent plus légers!» Peut-être le coeur plus léger?

Martin Matte a étudié en administration. Ah! On comprend tout! Blague à part: «Toute cause est bonne, reconnaît-il. Je suis beaucoup sollicité, mais j'ai choisi MA cause.» Il ne s'éparpille pas.

Il est lui-même. L'humoriste fait rire depuis toujours: «Je suis imbibé d'humour. C'est une deuxième nature.» Ce naturel chez lui est la clé de son succès, sans doute. Il ne cherche pas à tromper son public, et ce métier qu'il exerce depuis plusieurs années lui a valu de nombreux témoignages et récompenses. Ce n'est pas pour rien. Il lui faut être unique, authentique. Son humour est un partage d'humanité. Une fragilité qu'il reconnaît chez tous ceux qu'il rencontre et observe, et qui se transforme en humour parfois caustique. «Ce que j'aime, dit-il, c'est l'autre côté de la vie.» Voilà sa façon de voir les choses. «Le non-dit me stimule.» Et s'il faut parfois pousser l'audace jusqu'à parler de la maladie ou de la mort, il n'hésite pas. «C'est comme se vanter. Ça ne se fait pas...» Et Dieu sait qu'il ne s'en prive pas. Mais la pirouette parvient à nous attendrir.

Torturé? Il se soigne avec candeur. Et vit avec intensité toutes les émotions qu'il traverse, sans se gêner de pleurer au cinéma dans des scènes où père et fils s'affrontent. Croyant? «La religion, ça t'empêche de réfléchir...»

Lucide? «On peut souhaiter la paix dans le monde, mais c'est une utopie. Depuis toujours la violence existe, l'homme est comme ça.»

Alors pour s'adoucir, ou se racheter, l'homme rit.