Ce ne serait pas étonnant qu'il y ait, à l'intérieur des murs du cinéma Beaubien, quelque nostalgique fantôme. Le «navire amiral», comme l'appelle affectueusement son directeur général, Mario Fortin, depuis sa mise à l'eau, le 3 décembre 1937, n'a pas sombré. Mieux encore, il maintient son service, véritable phare de quartier.

Cette analogie avec la mer convient bien au Beaubien, car on doit se rappeler qu'il s'appelait le Dauphin dans les années 60. Aujourd'hui, 70 ans plus tard, devant les poutres d'acier et les murs mis à nu, dans la poussière et le vacarme intérieur, Mario Fortin a de quoi pavoiser. Son établissement offrira dès décembre prochain deux nouvelles salles de 50 et 80 places. De quoi ravir les cinéphiles, ceux du quartier Rosemont et ceux d'ailleurs.

 

Pour sa vision et la passion qui l'anime depuis qu'il a repris le gouvernail de cette institution appartenant à la communauté, La Presse et Radio-Canada nomment Mario Fortin Personnalité de la semaine.

Il a été embobiné

Dès ses premières semaines comme jeune travailleur, il y a de cela 35 ans, dès qu'il a franchi les portes de l'ancien cinéma Séville, dans l'atmosphère survoltée de l'après-guerre, le tintamarre des avions de chasse sur grand écran et des héros qui ont enflammé son imaginaire, Mario Fortin a tout appris de l'organisation d'un cinéma, de sa gestion, de la promotion.

À 20 ans à peine, il a été directeur adjoint, puis vice-président au marketing. Il y est resté 15 ans. «Le cinéma, à l'époque, était en pleine ébullition», dit-il. S'il avait rêvé un jour d'être pilote de chasse comme ceux des films qu'il voyait à longueur d'année, il a vite renoncé. Son chemin parallèle était déjà tracé.

Sa compétence l'a conduit au fil des années à Téléfilm Canada, au Festival des films du monde, au Festival international du film pour enfants de Montréal, etc. Aux premières lignes du comité pour la survie du cinéma Dauphin, devenu Beaubien, il assure depuis 2001 la destinée d'un exemple parfait d'entreprise économie sociale bien ancrée dans le milieu. «Le public a bien répondu à nos rêves, à l'époque, rappelle-t-il, et c'est encore le cas aujourd'hui.» Ce qui le séduit dans ses tâches actuelles, c'est le défi constant, entre autres, de faire une sélection de films qui plaira à ses publics variés, dont il tente de cerner les attentes. «Plus de 200 000 clients par année! dit-il, enthousiaste. Ce sont eux, mes patrons», ajoute-t-il en boutade, car il doit aussi rendre des comptes à un conseil d'administration.

Homme d'équipe

Aucun problème ne le rebute, qu'il soit d'ordre artistique ou organisationnel. Il adore son équipe, composée d'une vingtaine d'employés, dont quatre directeurs. Avec eux, une fois qu'il a tracé la voie, les choses vont bon train.

Fragile, le cinéma en salle? Pas pour le Beaubien, qui offre une programmation plus ciblée, plus film d'art. Et que l'on se rassure car, à son avis, aller au cinéma semble être de mise lorsque les conditions économiques sont difficiles. C'est encore le divertissement le plus démocratique. «Les prophètes de malheur ont maintes fois prédit la mort du cinéma en salle. Malgré toutes les crises, voyez, nous, on bâtit de nouvelles places.»

Il ajoute que le cinéma, du fait que l'on y côtoie ses semblables dans l'obscurité d'une salle pour rire ou pleurer ensemble, est un élément rassembleur. «L'homme est un animal de meute qui a besoin d'être entouré d'autres humains.»

Il a passé toute sa jeunesse à l'angle de la 18e Avenue et de la rue Masson. À titre d'aîné de cinq enfants, il a très tôt dans la vie appris à bien faire les choses, à ne pas compter les heures. «Ne pas tourner les coins rond.» Pour nourrir sa famille, son père occupait deux emplois, sa mère a repris le travail lorsque les enfants ont été plus âgés.

Cette énergie qui le caractérise aujourd'hui, à mener de front tous les aspects de la nouvelle construction, à maintenir le cinéma en fonction, est une attitude de bon père de famille qui assume toutes ses responsabilités. «Je ne changerais rien à ma vie, dit-il, songeur. Si j'ai un seul regret, c'est de ne pas avoir voyagé plus tôt, mais je me reprends bien aujourd'hui.» Et il le fait avec sa compagne, complice et amie avec qui il est marié depuis 33 ans.

Pour se détendre, rien ne vaut pour lui la lecture des livres de cuisine, l'échappée vers la gourmandise, les voyages, l'exotisme. Une fois qu'il a bien assimilé les conseils, il compare, crée et adapte à sa manière. C'est ainsi que le chef Mario fait sa renommée auprès de ses amis.

Mais jamais rien ne le garde longtemps loin de son cinéma.