À partir de 2009, à la suite des scandales du Faubourg Contrecoeur et des compteurs d'eau, la Ville de Montréal a adopté plusieurs mesures pour lutter contre la collusion et la corruption. Aujourd'hui, plusieurs d'entre elles ont été démantelées ou mises sur une voie de garage. Et les fonctionnaires responsables ont été «tablettés».

La Ville est revenue à la case départ et a stoppé le ménage entrepris par deux directeurs généraux, Rachel Laperrière et Louis Roquet, qui ont précédé Guy Hébert de 2009 à 2012, affirment plusieurs sources.

En janvier, M. Roquet est parti après un sérieux désaccord avec le président du comité exécutif, Michael Applebaum, élu maire en novembre. Rachel Laperrière, quant à elle, a quitté la Ville l'été dernier après avoir été rétrogradée aux affaires institutionnelles.

«On est en train de mettre la table pour que ça revienne comme avant», nous a confié une source.

Guy Hébert, nommé directeur général de la Ville en janvier, est responsable de ce changement de cap. Il pousse sur la machine pour qu'elle distribue les contrats le plus rapidement possible. M. Hébert est l'homme de confiance du maire Applebaum, qui approuve cette nouvelle «philosophie de management».

«J'ai mon style, a expliqué Guy Hébert lors d'une entrevue en compagnie du maire Applebaum. Je veux moins de structures. Je suis plus hands on sur les opérations.»

L'inquiétude est grande chez plusieurs cadres. Le discours politique ne parle que de lutte contre la corruption, mais les actions, elles, vont dans le sens contraire, nous ont raconté de nombreuses sources.

«Rachel Laperrière a refait tout le cadre de gouvernance, puis elle a été tassée par Guy Hébert», a précisé un haut fonctionnaire de la Ville.

Des exemples? En juillet 2011, Rachel Laperrière et Louis Roquet ont édicté des règles serrées pour encadrer l'attribution des contrats. Moins d'un an plus tard, ces règles ont été remplacées par d'autres, moins contraignantes. Les extras sont désormais calculés en «fonction de l'historique des projets similaires». Or, depuis la commission Charbonneau et une étude commandée en 2004, dévoilée le mois dernier, on sait que les prix étaient gonflés de 30%. L'historique des projets similaires n'est donc pas fiable.

Autre changement: le contrat ne passe plus qu'une fois, et non deux, devant les élus du comité exécutif; l'estimation du prix du contrat n'est plus déposée au greffier sous pli confidentiel; et le chantier d'optimisation du coût des contrats, qui passait au crible tous les documents pour détecter des irrégularités, a cessé ses travaux (voir encadré). Guy Hébert et Michael Applebaum ne nient pas. Ils sont allergiques aux structures lourdes et aux comités qui, selon eux, ralentissent la machine.

«Mettre 10 experts de la même affaire autour d'une table, puis leur demander de s'entendre, ce n'est pas une sinécure, a expliqué Guy Hébert. Chacun a sa théorie et ça s'obstine longtemps [...]. En 2011, seulement 38% du programme triennal d'immobilisations [la liste des travaux à faire] ont été réalisés. Ça n'a aucun sens! Cette année, on va dépasser 70%. Notre objectif pour 2013 est de 80%. Une partie du problème venait des contrôles inutiles. Les contrôles, c'est comme l'assurance-vie. Si vous prenez une assurance qui coûte plus cher que votre salaire...»

«Pour moi, la Ville, c'est une business, c'est opérationnel, a ajouté Michael Applebaum. M. Hébert a déjà montré qu'il est capable de gérer les services, faire des économies et régler les problèmes.»

Michael Applebaum veut créer un comité de sages, formé de gens de l'extérieur, pour examiner le problème de la collusion et de la corruption et faire des recommandations.

Rappelons que le 3 octobre, Gérald Tremblay a suspendu les contrats non urgents jusqu'à ce que Québec adopte le projet de loi 1, ce qui devrait être fait avant les Fêtes.

Louis Roquet, que La Presse a joint en Algérie, où il travaille, ne pense pas que les mécanismes qu'il a créés avec Rachel Laperrière «paralysent» la Ville. Au contraire.

«La transparence impose toujours une certaine lourdeur, a-t-il expliqué. Si vous voulez aller vite, vite, vite, vous pouvez décider tout seul dans votre bureau, la porte fermée. On a fait le pari qu'on pouvait imposer une certaine lourdeur au processus de décision tout en respectant un rythme qui nous permettait de donner les services aux citoyens.»

«C'est vrai qu'au début, ça alourdit la machine, mais après un certain temps, vous trouvez votre rythme et les projets commencent à sortir comme des saucisses. Le parcours est plus long, mais ça ne paralyse pas la machine, ce n'est pas vrai! C'est un prix à payer pour être dans le secteur public.»